Décidément, l’industrie du disque souffre cruellement de la crise. Faute de temps, on préfère jouer sur la fibre nostalgique du consommateur et ressortir les vieilles casseroles. Miroir aux alouettes qui a grisé plus d’un groupe, au cours de ces derniers mois. Excités par leur égo, ils arpentent les devants de la scène dans l’espoir, à peine dissimulé, de revivre leurs heures de gloire passées. Armés, pour certains, de nouvelles compos (Teenage Fanclub, The Pastels, The Posies, …) ou encore de simples reprises (Supergrass, My Bloody Valentine, …), ils ne sortent cependant pas tous indemnes de l’expérience délicate du come-back. Pourtant, les fans suivent, animés globalement du désir compulsif de revoir enfin leurs idoles d’antan.
Ce soir, direction Anvers pour découvrir ou plutôt redécouvrir l’une des formations les plus respectées de la scène pop alternative de Seattle des 90’s : The Posies. C’est après cinq ans d’absence –dix sur les terres anversoises– que Ken Stingfellow et Jon Auer sont venus présenter leur dernier opus (« Blood/Candy ») devant une poignée de spectateurs. Trois dates consécutives en Belgique (Anvers, Bruxelles et Liège), fréquence vraisemblablement coupable de cette faible assistance.
L’admiration vouée à ce quatuor s’explique aisément. Elle provient essentiellement du choix artistique sciemment adopté par les deux leaders de la formation. Un choix consistant à nager systématiquement à contre-courant. Alors que la quasi-totalité de l’Etat de Washington s’embourbait dans les profondeurs marécageuses du grunge, Auer et Stingfellow naviguaient paisiblement aux antipodes, à l’abri des vents dominants qui soufflaient sur Seattle dans les nineties. Les deux provocateurs américains revendiquaient fièrement leur pop classique. Une ‘power pop’ et une ‘retro pop’ vintage balançant des mélodies pures et lumineuses diamétralement opposées aux beuglements rageurs et suicidaires poussés par toute une génération d’adolescents.
Lyrics simples mais certes pas innocentes. Car la qualité des textes chez The Posies constitue également l’autre force majeure du groupe. Une ‘power pop’ qui ressemblerait davantage à un indie rock alphabétisé tant la qualité des paroles est remarquable. « Every Kind of Light » en est d’ailleurs le plus bel exemple. Un sixième ouvrage studio, finement politisé, truffé de métaphores, dénonçant les faiblesses de l’administration Bush et la guerre en Irak. « Blood/Candy », d’apparence plus sage, n’en reste pas moins subtil.
Sur scène, la magie de The Posies procède davantage de l’alchimie opérée entre Auer et Stringfellow que dans les mélodies elles-mêmes. Car malgré les nombreux désaccords qui les ont déchirés, dans le passé, ces deux hommes se connaissent parfaitement et se répondent en écho. Les voix s’épousent naturellement et les guitares s’entrechoquent machinalement. Une vieille complicité qui se manifeste également lors des longs breaks entre les morceaux. Les deux Gretsch s’accordent instantanément. Le silence résonne d’histoires croustillantes contées à deux voix. Le ton est ironique et s’amuse à taquiner le public d’anecdotes sur les Flamands et les conflits communautaires. Les Laurel et Hardy US provoquent et usent de leur expérience scénique pour créer l’interaction et séduire, en fin de compte, l’assistance de leur humour caustique. Moments intimes qui prendraient presque l’ascendant sur la musique. Car, à vrai dire, la performance musicale déçoit par une carence indéniable d’inventivité et nous livre une musique pop classique sans grande originalité. Avec le temps, The Posies ne serait-il pas simplement devenu un dead band ? Un groupe qui serait définitivement entré dans les annales du Nord-Ouest du Pacifique ? Et « Blood/Candy », la dernière page de l'un des catalogues les plus convaincants de la pop moderne ?
Toutefois, les deux routards expérimentés (NDR : accompagnés de leurs deux fidèles musicos : le bassiste Matt Harris et le drummer Darius Minwalla) vont nous offrir quelques surprises pop particulièrement agréables.
Soulignons tout d’abord l’efficace ouverture emmenée par « Plastic Paperbacks ». Un titre traçant des lignes power pop parfaites dont les harmonies vocales s’avancent dangereusement en terre électrique. « Licenses To Hide » nous surprend ensuite d’un mini opera rock aux vibrations queeniennes.
Les riffs énervés, la batterie solide et les voix version « Nada Surf » de « Take Care Of Yourself » fournissent pourtant un supplément d’énergie à la setlist. Instant fragile trahi rapidement par un « The Glitter Prize » nous rappelant que les guitares d’aujourd’hui sont résolument plus sages que celles du temps de leur splendeur.
Dès lors, les morceaux joués au clavier demeurent les éléments les plus convaincants. Ceux qui exposent au mieux le potentiel inépuisable d’écriture des deux songwriters. « Enewetak » et « For The Ashes » atteignent alors de nouvelles cimes dans l'émotion piano-ballade.
Trois rappels qui s’éteindront enfin sur le lourd et volcanique « Definite Door » et qui illustrent les deux atouts majeurs du groupe : son infinie générosité et sa boulimie scénique.
(Organisation Trix)