Ce jeudi 27 novembre, c’est l’effervescence face au 110 du Boulevard Anspach. L’enceinte de l’Ancienne Belgique est prise d’assaut, une heure déjà avant le concert de ce soir. Ni la pluie, ni le vent qui vient nous glacer jusqu’aux os, ne semble décourager la meute impatiente. Pourtant, immobile depuis quelques minutes, je décide de me dégourdir les jambes. Impossible de rester sur place sans se me sentir happé par l’hiver dont la rigueur commence déjà à frapper. Je lance un regard circulaire vers la masse. J’essaye de retrouver Bernard Hulet, avec qui je partagerai la soirée. Il sera les yeux de Musiczine, je serai la plume. Introuvable ou noyé dans la foule, je sais qu’il doit être sur les lieux depuis un bon moment. Les photographes ne disposeront pas de couloir réservé ; c’est Monsieur Bashung lui-même qui l’a souhaité. Il devra donc se battre pour se creuser un trou stratégique, d’où il regardera le concert à travers l’œilleton. Je quitte le boulevard pour m’engouffrer chez un bouquiniste voisin.
45 minutes plus tard, je me dirige à nouveau vers la salle. Les vendeurs de places au marché noir grelottent ; mais il y a fort à parier que leur petit business sera lucratif. La soirée est en effet ‘sold out’ depuis belle lurette. Un arrêt au stand presse, un sourire ravi à l’hôtesse qui me remet mon sésame, une fouille en bonne et due forme et un détour par les vestiaires plus tard, je pars à la recherche d’un coin agréable pour ne rien louper de la soirée. Pas simple. Je suis même forcé de monter au deuxième balcon pour dénicher ce petit angle de vue, plus ou moins sympa. Je pose le bloc note sur le rebord de la rambarde. Ok, pour moi c’est bon les gars ! Je n’ai toujours pas retrouvé Bernard, mais ce grand gaillard se débrouillera, c’est une certitude. (NDR : Je vous invite d’ailleurs à aller jeter un œil sur ce lien pour confirmer mes propos : http://www.musiczine.net/fr/index.php?option=com_datsogallery&Itemid=47&func=viewcategory&catid=622)
Le public est composé en grande partie de quinquas. On y croise tous les looks : du classique au vieux rockeur. Quelques ados accompagnent leurs parents. Ils portent des tee-shirts dont l’effigie ne trompe pas sur leurs goûts musicaux. Pas mal de trentenaires aussi. Tout ce petit monde affiche une mine ravie, et prouve l’étendue des générations touchée tour à tour par la tête d’affiche. Il faudra que tout ce petit monde patiente encore. Fred, la première partie n’a pas encore commencé son set Il est annoncé pour 20 heures.
20 heures tapante, la salle s’obscurcit. Le premier Français de la soirée débarque guitare à la main. Son set est tendre. Sa voix se pose agréablement sur des accords simples et envoûtants. Les textes parlent d’amour ou de relations humaines. D’écologie ou de prise de conscience. Il se sample lui-même, le pied sur la pédale, pour permettre des croisements d’accords. Il reçoit les acclamations du public. Il en recevra encore plus lorsqu’il se permettra une reprise de Noir Désir « A l’Envers à l’Endroit ». En 25 minutes Fred est parvenu à capter notre attention, et préchauffer nos cœurs. Un bien beau défi quand on connaît le pedigree de l’artiste suivant ; pas mal s’y seraient cassés les dents.
La salle continue à se remplir. Dans mon pigeonnier on commence à se sentir à l’étroit. Un couple vient juste de se coller (et c’est peu dire) à ma gauche, essayant au fil des minutes de grappiller un peu plus d’espace. Même les flagrances insupportable de ce parfum dont les ‘vieilles’ se tartinent en général, ni les dialogues complètement vides qu’ils m’obligent à écouter n’auront raison de ma ténacité. Je reste bien à ma place, je bombe le torse. Tout le monde veut le meilleur confort pour tout voir, on n’est pas prêt de me déloger.
20h50, l’AB a respecté ses engagements de ponctualité. Les musiciens font leur apparition. Alain Bashung arrive à son tour. C’est l’hystérie dans la salle. L’accueil est d’une puissance telle, qu’il doit insuffler une bonne dose de motivation à l’artiste. Coiffé d’un chapeau noir, vêtu d’un costume de la même couleur et les yeux cachés par de lunettes fumées, l’homme est beau. Il a la classe du dandy, et un charisme à couper le souffle.
On essaye un instant, d’effacer de sa mémoire les mots ‘maladie’, ‘cancer’, ‘chimiothérapie’ qui sont souvent associés au chanteur. On essaye de se persuader que c’est uniquement la timidité qui le pousse à se dissimuler derrière ses lunettes et son couvre-chef. On oublie le mal qui le ronge pour ne se consacrer qu’aux émotions positives. Un petit pincement au cœur surgit malgré tout, de temps en temps. Assis sur un tabouret, il remercie son public pour l’accueil réservé. Il ouvre les festivités par une phrase qui va tout embraser : ‘Ce soir, je vous propose des chansons, des chansons… et encore des chansons’. Comme au Cirque Royal au mois de mai dernier, il ouvre son set par « Comme un Lego ». La sobriété, est de mise. Le violoncelle et la guitare viennent élever l’instant. Les premiers frissons n’ont aucune peine à vous envahir. C’est l’échine électrisée qu’on est plongé au sein d’un univers sensuel et délicat. Il embraie par « Je t’ai manqué ». Le jeu de lumière vient découper les différents protagonistes ; mais on ne voit que le chanteur. Il avale littéralement la lumière. Il se lève du tabouret que les roadies viennent discrètement déplacer pour entonner « Hier à Sousse », accompagné de son harmonica. Le deuxième clin d’œil de la soirée adressé à Bertand Cantat, apparaît sous le costume de « Volontaire » qui est proposé de manière beaucoup plus rock que la version originale. « Mes Prisons » précède « Samuel Hall ». Une adaptation plus soutenue que celle opérée sur l’elpee « Fantaisie Militaire ». Les lumières transfigurent l’instant, en embrasant la scène de ses milles feux. Complètement bluffé, et sous les coups de butoir du solo de guitare, on frise le sublime quand démarre « Vénus ». Un silence complet dans la salle traduit le respect accordé par l’audience à l’artiste. La peau se couvre d’émotion. Les poils se hérissent. « La Nuit je Mens » est accueilli de manière soutenue. Le public est complètement acquis à la cause, et le fait savoir. L’intro est à nouveau enrichi par le violoncelle et la guitare. Bashung lève les mains. Il enrobe, de ses mouvements lents, la moindre parcelle d’amour que les spectateurs lui accordent. « Je tuerai la Pianiste » et « Légère Eclaircie » sont des compos que l’auteur semble vivre de l’intérieur. « Mes Bras », un extrait de l’album « L’Imprudence », approche la perfection. ‘Sauve toi. Sauve moi, et tu sauras où l'acheter le courage’ : ces quelques mots suscitent à nouveau la révérence. Une leçon de courage que tout le monde se prend en pleine poire. La salle est subjuguée. Elle est encore sous l’emprise des paroles prononcées, juste avant, par l’artiste. Mais il devra se ressaisir en écoutant « Happe » ; histoire de ne pas en louper une miette. Ballade mélancolique, « J’passe Pour une Caravane » déclenche une salve d’applaudissements. Le groupe s’accorde une pause, quelques instants. Le chanteur a ainsi tout le loisir de s’exprimer en solitaire. Il interroge les spectateurs. Leur demande si quelqu’un connaît le film « Macadam Cowboy ». Un hurluberlu ignare hurle : ‘C’est un film de pédé !!’ Bashung manifeste un flegme exemplaire dans sa réponse : ‘Non, c’est un film d’amour’, et entonne « Everybody’s Talkin » de Harry Nilson, une adaptation de la BO du film de John Schlesinger. Et il embraie par un morceau dont l’intro a été volée à Bob Dylan : « Blowing In The Wind ». Cet interlude ouvre une version percutante du célèbre « Osez Joséphine ». Le light show est vraiment superbe et danse autour des musiciens. Sans le savoir, nous entamons le dernier morceau de la soirée. « Fantaisie Militaire » achève la prestation, une compo démantibulée par un solo de guitare énergique qui doit en étonner plus d’un. Il est 22h15.
Le rappel est incroyable, les applaudissements et les cris s’entrechoquent pour former un brouhaha incroyable. Bashung ne s’en sortira pas ainsi. Il en faut une dernière, une ‘sublime’, comme si les 85 minutes précédentes n’étaient qu’une mise en bouche. Bashung revient interpréter « Madame Rêve ». Il en profite pour présenter ses acolytes. Et nous laisse comme deux ronds de flanc, complètement sur les genoux. D’un pas lent et imprécis, il quitte la scène, remerciant la main sur le cœur le témoignage d’amour qu’il vient de vivre. Et que nous venons de vivre. Il se retourne, s’en va dans l’embrasure du côté de la scène. Il y laisse un grand vide. Dans nos cœurs aussi. Sûr, c’est la véritable clôture de la soirée ! Les lumières réapparaissent. Les roadies commencent à démonter le matos. Rien n’y fait, le public continue de hurler. Sans doute résignée, la foule se décide finalement à quitter les lieux. Cette soirée du 27 novembre était magique, et me laissera, longtemps encore, de superbes souvenirs. Je vais par contre tenter d’oublier le parfum de ma voisine de soirée… Quelle horreur !
Organisation Ubu