Mauvaise nouvelle, Blakfish a déclaré forfait. Panne de camionnette paraît-il. Et pas plus de monde que la veille pour entamer cette seconde journée du festival. Pourtant l’affiche est bien plus consistante, puisqu’y sont notamment programmés The Ex et My Little Cheap Dictaphone. Un pic d’affluence sera cependant atteint vers 20 heures, quand on dénombrera plus ou moins 650 spectateurs. Tant pis pour les absents, ils auront tort. Et le déroulement de la soirée va confirmer cette intuition…
Hands Up Boys ouvre les hostilités à 16 heures. Quatre filles. Mais pas n’importe lesquelles, puisqu’elles ont déjà bourlingué au sein d’une multitude de projets. Certaines militent d’ailleurs parmi plusieurs groupes. La surprise nous vient quand même de la présence de Cloé Defossez (NDR : si, si, l’ex-Clover’s Cloé dont le nouveau projet Cloé du Trèfle a décroché le Prix ‘Coup de Cœur’ de l’Académie Charles Cros, en 2008). Et manifestement, ses trois copines ont des planches. Deux autres Bruxelloises (pour la section rythmique) et une Romaine. Elisabetta. Au chant et à la seconde guitare elle fait aussi le spectacle. Au menu un mélange de rock, de funk, de pop, de hip hop et d’électro particulièrement excitant. Sans jamais en rajouter trois couches. Sauf le culot et la dérision (NDR : surtout de la part d’Elisabetta !) Et puis, elles participent toutes les quatre aux vocaux. Un set qui programmé à une heure plus tardive aurait pu enflammer la salle. Une performance, quand on sait qu’il ne s’agissait que du quatrième concert de la formation. A revoir, c’est une certitude…
« Attagirl » est le titre du sixième album du band néerlandais Bettie Serveert. Un disque paru en 2003. C’est également le patronyme d’un quatuor issu de la région tournaisienne. Rien à voir donc avec le titre d’une chanson de Johnny. Côté performance, Attagirl assure honnêtement son set dans un style, ma foi, fort conventionnel, dans la lignée de Malibu Stacy (NDR : surtout pour l’attitude), mais sans les claviers. Plus intéressant, le chanteur emprunte parfois les inflexions vocales de Brian Molko (Placebo) ou de Finn Andrews (The Veils). Une bonne voix, c’est une certitude ! Mais pour le reste, rien à signaler…
Drums Are For Parades nous vient de Gand. Un trio réunissant les frères Geert et Piet Reygaert. Aux guitares. Wim chante, Geert pas. Le drummer se chargeant épisodiquement des backing vocaux. Pas de bassiste. Le second frangin n’a plus un poil sur le caillou. Une pilosité que le premier a sans doute récupérée pour en faire une barbe touffue. Leur musique évolue entre noise, heavy metal et hardcore punk. Quelque part entre Kyuss et Shellac, probablement. Les deux gratteurs ne sont pas des manchots. Leur solution sonore est terriblement agressive, puissante et sans concession. Le batteur frappe sur ses fûts comme un possédé. Mais on a parfois l’impression que les différents membres jouent chacun dans leur coin. En outre, pas la peine de chercher une once de subtilité chez ce power trio. Aussi après dix bonnes minutes, on a préféré s’esquiver, pour économiser nos tympans…
Blakfish a déclaré forfait. Il est remplacé au pied levé par Paranoid Grill, un trio transfrontalier dont le set devait, au départ, se dérouler près du bar. Chez ce combo milite l'ex-chanteur/guitariste de Deadwoods et Sliver (combo qui s'est fait connaître en tant que coverband de Nirvana à travers le Benelux) et puis une section rythmique réunissant un très jeune bassiste (Mr J’) et un vétéran aux drums (Mr S’). La musique de Paranoid Grill est directement inspirée par les seventies. Une forme de stoner qui laisse une belle ouverture au blues et au boogie. Pensez aux Black Crowes. C’est pourtant dans ces deux derniers styles que la formation me paraît la plus performante. Surtout que la voix éraillée du vocaliste colle parfaitement à la solution sonore. Quant au drummer, au départ un peu court, il a gagné en amplitude au fil du temps parvenant alors à fédérer des compos de plus en plus abouties. Bref, si ce groupe est loin d’être révolutionnaire, dans son style, il tient la route. Maintenant, il leur reste encore du boulot pour peut-être espérer un jour accompagner Triggerfinger, en première partie d’une de leurs tournées. C’est tout le mal qu’on leur souhaite…
Sextet londonien, The Display Team implique deux guitaristes, un tromboniste, un trompettiste, un bassiste et un drummer. Ils chantent tous les six ! Ils reconnaissent pour influences majeures les Cardiacs, The Beach Boys, Mr. Bungle, Frank Zappa, Queen, XTC, The Specials et The Mad Caddies. J’ajouterai même Gentle Giant ! Et en mêlant rock, ska, punk, funk, doo-wop, swing, hardcore et metal, ils réalisent une forme de progcore ou alors du pronk, étiquette collée au prog punk. Tout un programme ! Et tout ce beau monde se démène sur toute la largeur de la scène tout en jouant de son instrument à la perfection. Parfait ! Sauf que mixer 6 chanteurs, c’est pas du gâteau. Et puis leur musique est tellement complexe qu’on éprouve des difficultés à en suivre le fil conducteur. Avant d’assister à ce type de concert, il serait indispensable d’écouter leurs disques. Histoire de ne pas être trop dépaysé.
La première surprise nous est venue de Phoebe Killdeer & The Straws. Phoebe est australienne, mais est surtout connue pour avoir sévi comme vocaliste au sein de Nouvelle Vague, un projet monté par Marc Collin et Olivier Libaux et destiné à reprendre des titres classiques de la new wave. Pas vraiment ma tasse de thé, même si le concept a cartonné et cartonne encore, en compagnie d’une autre chanteuse, outre-Quiévrain. Vêtue de noir, sexy, élégante, féline, charmeuse, Phoebe possède une très belle voix, légèrement rauque. Rappelant tour à tour Dani Klein (Vaya Con Dios) et Patti Smith. Elle pianote de temps à autre sur un clavier, mais secoue régulièrement des maracas. Elle est accompagnée d’un excellent guitariste (Cédric) qui pourrait être le fantôme de feu Phil Lynott (NDR : c’était le bassiste de Thin Lizzy), et d’une solide section rythmique, même si le drummer présent ce soir n’était que remplaçant. Musicalement, les compos oscillent entre rock, blues, rockabilly et soul. Des références ? Nick Cave, Screaming Jay Hawkins, les Cramps, Tom Waits et PJ Harvey. Des compos tour à tour tribales, sauvages, sensuelles, théâtrales, sombres, vibrantes, envoûtantes et parfois le tout en même temps. Cédric réalise parfois le grand écart tout en redressant son manche. Suggestif ! Le public applaudit poliment. Phoebe tente de l’allumer. Communique avec lui. En vain ! Qu’importe, le set est excellent. Ce n’est qu’en bout de parcours que l’audience commence timidement à participer à la fête. Trop tard, elle prend congé de l’auditoire. A revoir, et le plus vite possible…
A l’instar des Ramoneurs de Menhirs, programmés la veille, The Craftmen Club nous vient de Bretagne. De Guingamp plus précisément. La musique du trio est le fruit d’un mélange explosif entre rock, punk, blues et country. Un peu dans la lignée du Jon Spencer Blues Explosion. Au sein de l’Hexagone, le trio jouit d’une solide réputation de groupe de scène. Dès leur montée sur les planches, le combo enchaîne les titres furieux, brûlants, bien crades, à la vitesse de l’éclair. L’attitude est bien ultra rock’n roll ; mais le manque de variation dans leur répertoire devient rapidement lassant. C’est à cet instant qu’on se rend compte du potentiel de The Experimental Tropic Blues Band. En outre, le son sature rapidement, et après quelques titres, nous abandonnons le combat…
Car dans l’autre salle, nous attend le point culminant de ce festival. Et n’ayons pas peur des mots, l’un des plus grands concerts de ce début d’année 2010. On savait en effet The Ex particulièrement performant en ‘live’. Mais ce soir les Néerlandais vont tout balayer sur leur passage. Il n’est d’ailleurs pas nécessaire au présentateur fantasque du festival de chauffer la salle. ‘Le groupe suivant n’a pas besoin d’introduction’, lance-t-il, ‘Depuis 30 ans il influence bon nombre de groupes’. Et c’est vrai que The Ex roule sa bosse depuis 1979, comptant même une bonne vingtaine d’albums à son actif. Si à l’origine, le combo pratiquait une forme d’anarcho punk lo-fi, au fil du temps sa solution sonore s’est muée en no wave. Très souvent expérimentale. La formation batave a ainsi, à une certaine époque, influencé Sonic Youth. Petite surprise en découvrant le line up cependant, le membre fondateur et vocaliste, GW Sock, a quitté le navire. Il estimait avoir fait le tour de la question et se consacre aujourd’hui essentiellement à l’écriture. Pour le remplacer Arnold de Boer (NDR : traduisez ‘le paysan’), dont la dégaine rurale colle parfaitement à son nom. Terrie Hessel, l’autre membre fondateur, est toujours bien au poste. Présente depuis 1984, Katherina Bornefeld se chargeant, bien sûr, des drums. Sans oublier le bassiste Andy Moor, impliqué dans l’aventure depuis 1990. Mais le groupe n’a rien perdu de ses qualités intrinsèques. D’abord, la musique cogne toujours aussi fort. Tout en conservant son profil complexe. Voire noisy. Les riffs de guitares sont aussi tranchants que chez Fugazi. Le groove impressionnant. Au fil du set, on pense successivement à Sonic Youth, Gang of Four voire à Wire, surtout lorsque les vocaux sont plus saccadés. Mais nous sommes bien en présence de The Ex ! Toutes les compos possèdent leur propre relief. Ce qui explique pourquoi leur prestation tient en haleine de bout en bout. Et lorsqu’on en arrive à « Ethiopia » (NDR : rappelant en même temps que le band batave y a tourné ; et puis également collaboré avec le saxophoniste de jazz Getatchew Mekurya, né en ex-Abyssinie), un morceau hypnotique, chanté par la drummeuse Katherina, l’intensité est à son comble. Un instant, on pense même à Yo La Tengo. Bref, de quoi ravir un public constitué en majorité de trentenaires, quadragénaires voire même carrément quinquagénaires. Et les mélomanes venus expressément de France ou du Nord du pays savaient qu’ils ne seraient pas déçus. Tête d’affiche de cette édition 2010 The Ex a bien rempli son rôle, mais en même temps a accordé une prestation qui pourrait s’avérer une des meilleures de cet exercice.
Le nouveau projet de My Little Cheap Dictaphone est un concept-album et un spectacle ambitieux, sorte d' ‘Opéra Pop moderne’ qui raconte le parcours tragique d'un artiste surdoué, mais torturé par ses démons intérieurs, perdu entre rêve et réalité. Une histoire inspirée par la vie de Brian Wilson. Il a fallu plus de deux ans de travail à Redboy et son équipe pour réaliser ce concept ; en outre, l’équipe a passé les ¾ d’une année mois au sein de différents studios entre Pays-Bas, Belgique et Etats-Unis pour le concrétiser, et a eu besoin de plusieurs mois pour finaliser la création du spectacle et de réalisation vidéo. Un show original imaginé par une équipe de professionnels issus du cinéma et du théâtre, alimenté par des projections vidéos et enrichi occasionnellement par un orchestre classique. C’est ce que nous pouvons lire sur le MySpace du groupe. Et c’est dans cet esprit que MLCD ouvrait donc sa tournée. Sans l’orchestre symphonique, il faut le préciser. Première constatation, le son est parfait. Il y a bien eu un petit problème de guitare, mais il a été rapidement réglé. Vêtus de costards noirs, le quatuor en impose par son attitude. Redboy dispose d’un micro ‘type années 50’. A droite, de profil, le claviériste se montre très appliqué. Du même côté, mais plus haut, le drummer domine l’estrade. Et à gauche, le bassiste, vient de temps à autre enrichir les compos d’interventions sur une caisse claire et une cymbale. Bref, tout baigne. Juste qu’au fil du set, on se demande où en est l’attitude rock’n roll ? Les progressions de cordes me font penser à Coldplay voire à Pink Floyd circa « Dark side of the moon ». C’est tellement parfait qu’on s’ennuie. Un peu comme lors des concerts prog des 70’s. Et j’imagine que lorsque l’orchestre symphonique soutiendra le spectacle, le résultat sera encore plus sophistiqué. Ou tout bonnement somptueux. Vous êtes de toutes manières ainsi prévenus de ce qui vous attend, si vous allez assister à un de leurs concerts, puisque c’est sous cette forme qu’ils seront dispensés pendant toute la saison 2010-2011. Et la sortie de l’album est prévue pour la mi-mars.
Isbells est un quatuor louvaniste qui fait un véritable tabac au Nord du Pays. Faut dire que le leader, Gaëtan Vandewoude, y jouit d’une solide notoriété. Trois types au crâne rasé (NDR : on dirait des moines !) dont deux chantent et une fille (NDR : très jolie !), également préposée aux vocaux. Ils sont assis face au public, sur toute la largeur de la scène. La demoiselle pianote de temps à autre sur un clavier. Les trois autres se partagent une belle brochette d’instruments acoustiques : guitares, ukulélé, banjo, etc. ; sans oublier la slide. Les harmonies vocales sont superbes. Diaphanes, limpides, douces, elles alimentent des mélodies visionnaires et mélancoliques. Le plus jeunes pensent inévitablement à Iron & Wine, Bon Iver, Kings of Convenience voire Fleet Foxes. Bien lo-fi. Les vétérans à Simon & Gardfunkel et Crosby Stills & Nash. En moins chevelu. Mais c’est tout aussi beau. Simplement, ce style de concert ne me semble guère adapté à un festival. Il s’apprécierait bien mieux dans une toute petite salle, limitée à une centaine de personnes. Pensez à la ‘La cave des poètes’ voire à la ‘Rotonde du Botanique’. Prévoir des sièges également… .
D’autres Bretons (NDR : mais des Rennais) investissent la salle Noté : X Makeena. Ils s’étaient déjà produits au D’Hiver Rock, lors de l’édition 2008. S’ils pratiquent le hip hop ; c’est surtout leur jeu de scène et le spectacle haut en couleurs qui impressionne. L’un des pions majeurs du collectif, Karlton, joue un rôle clé à la beatbox mais aussi tout au long du show. Le décor et les costumes des intervenants sont dignes de grands films fantastiques. C’est intrigant et on en a plein la vue. La salle est pleine à craquer et réunit de nombreux jeunes qui sautent un peu dans tous les sens. En fin de parcours, un énorme chaudron monté sur un échafaudage à roulettes approche du bord de la scène, avant de cracher d’énormes ronds de fumée, au-dessus des têtes de l’auditoire. Musicalement, pourtant, leur mélange d’électro et de hip-hop ne casse pas des briques. Chacun ses goûts ! D’ailleurs, si êtes intéressés par ce groupe, je vous invite à aller jeter un œil sur la chronique de leur dernier Cd (« Derrière l’œil »), concoctée par notre ami Jojo…
A contrario, chez Cecilia :: Eyes, la solution sonore est fort intéressante. Du post rock digne des maîtres du genre. Pensez à Mono ou à Explosions In The Sky. Le set s’ouvre par « Last call », morceau maître de leur nouvel opus prévu pour avril. Une compo plutôt longue qui s’étire en crescendo. Bien fait ! Il est cependant déjà passé minuit, et faute de jeu de scène ou de projections, une certaine lassitude commence à nous envahir. Même la batterie placée à l’avant-plan ne parvient pas à nous sortir de notre torpeur. Malgré leur répertoire bien maîtrisé et austère, les membres du groupe ont heureusement le sens de l’humour. ‘Nous sommes contents d’être ici’, déclare le leader ; ajoutant ‘Et c’est sympa d’être encore là pour nous, à cette heure-ci !’ Cet art de la dérision se retrouve également dans le titre de leurs compos. A l’instar de « Too late for a porn movie » (!) Finalement, il ne nous déplairait pas de les revoir dans d’autres circonstances, à une heure moins tardive, c’est à dire à un moment où Cecilia :: Eyes pourrait nous tendre les bras, plutôt que de nous abandonner dans ceux de Morphée.
Lors de la seconde journée du festival, se produisent également des artistes locaux ou insolites. Sur un podium monté près du bar. Et certains d’entre eux remportent un franc succès. Dont le nouveau projet de Thomas Rasseneur, Maria Goretti Quartet. Exit le punk à la n’importe nawak des Fucking Canaris. Particulièrement habile, le drummer balise un punk teinté de post rock et de rockabilly. Et quelques guests viennent même participer au set. Peter notamment. Mieux connu comme organisateur de concerts locaux. Pas comme chanteur.
Toujours sur la même estrade, Mambo Kurt va recueillir un joli succès de foule. Les fêtards ne semblent pas fatigués. Pourtant, il faut faire preuve d’une bonne dose de second degré pour apprécier ce type de musique. Car seul derrière ses claviers vintage, l’Allemand fait plutôt dans le méga-kitsch ! On pense à Didier Super lorsqu’il fait l’idiot en ‘one-man show’ ou encore à Meneo pour le côté rudimentaire de son matos informatique. Du « Killing of the Name » de Rage, à « Rythm is a dancer » de Snap! (NDR : mais si, souvenez-vous du le refrain ‘Oh oh, it's a passion, oh oh, you can feel it, yeah’) les reprises sont plus singulières les unes que les autres. Des adaptations, pour la plupart, de tube issus des 90’s, revisités à la sauce germanique. Et après avoir participé à cet oberbayern électro minimaliste, on avait envie d’avaler une saucisse choucroute. Ne pas oublier la moutarde !
Une nouvelle preuve que le D’Hiver Rock continue à faire la part belle aux découvertes en tous genres ! Et que le public tournaisien, tel celui des festivals d’été, est capable d’apprécier des styles fort… divers.
(Voir aussi notre section photos)