Le marathon des Ardentes 2008, c'est fini ! Et Musiczine était bien présent pour en extraire la quintessence. Cette année, la manifestation a franchi un cap d'importance. Elle peut se targuer d'avoir atteint la taille critique d'un poids lourd dans le paysage festivalier wallon et belge. En seulement trois ans d'existence, c'est une gageure de taille. Plus de 50 000 personnes étaient attendues sur le site du Parc Astrid pour assister à plus de 80 concerts. Le quatrième et dernier jour des festivités de Coronmeuse débute sous les meilleurs auspices : la météo promet un temps sec et même un timide ensoleillement. Pour cette ultime journée, les organisateurs ont voulu nous en mettre plein les oreilles. Affiche de grand standing, le final des Ardentes, s'annonce grandiose.
Ce dimanche aura connu des records d'affluence. Quand nous débarquons sur le site du festival, l'Allée des Saveurs est encombrée de passants indécis entre désir de musique et envie de nourriture. De nombreux festivaliers campent devant les bars, le verre en plastique à la main. On se presse moins, par contre, devant les podiums. C'est compréhensible, trois jours d'orgie sonore sont amplement suffisants pour entamer un homme. Pour bien commencer la journée, le festivalier fatigué reprend des forces en buvant une bière bien fraîche et en dégustant un hot-dog dégoulinant de sauce…
Nous arrivons devant la scène de l'‘HF6’ dix bonnes minutes avant l'entrée de Yoav. Sur l'estrade, un technicien particulièrement zélé accorde une guitare et règle les prises de son. Franchement, il a une belle voix et son doigté sur les cordes ne manque pas de dextérité. Bigre, il pourrait bientôt voler la vedette au chanteur pour lequel il règle le matos. En réalité, cet obscur technicien est Yoav en personne ! Il faut un peu de temps pour s’en rendre compte, mais on vous prie de bien vouloir excuser notre méprise. Faut dire qu’en fin de festival, notre esprit commence tout doucement à s’engourdir. Il nous offre, en quelque sorte, un pré-concert. A l’écoute de ces petites bribes de morceaux déjà bien mélodiques, le public commence à s’impatienter. Le chanteur ne cesse pourtant de rappeler que son set n'a pas encore commencé, mais nous précise qu’il a presque terminé le soundcheck. Finalement, le show débute plus tôt que prévu. La persévérance du public aura porté ses fruits. La pop de l'Israélien est délicate. Finement ciselées, les mélodies frôlent l'érudition. Il est seul sur les planches. Un seul compagnon : une guitare. Yoav fait corps avec son instrument. Il en extrait des sonorités insoupçonnées, les transformant au besoin en boîte à rythmes. Nos voisins se bidonnent lorsqu’il décide de chanter dans son instrument et le surnomment déjà ‘l'homme qui murmurait à la rosace des guitares’. Il se fend de deux covers très personnelles. L’une d’un titre de Radiohead et l’autre, le « Where is my mind », tube des Pixies. Mais la compo qui nous a la plus séduite est incontestablement « There is nobody ». Elle est issue de sa plume. Cependant le set du chanteur est peut-être un chouia trop intello pour convaincre à une heure aussi matinale. Il est alors 15h50.
Notre premier grand étonnement de la journée viendra de Nicole Willis & The Soul Investigators. La chanteuse américaine et son orchestre sont déjà à l'œuvre quand nous arrivons devant l'‘Open Air’. Vêtue d’une robe sobre, de couleur verte, la chanteuse noire ne manque pas de style. Comme quoi on peut avoir de la prestance sans devoir sortir toute une panoplie carnavalesque. Et il faut reconnaître que le combo démontre un talent indéniable. Cependant, le public est encore clairsemé. En outre, leur soul ‘old school’ n’est pas tellement adaptée à un festival comme celui des Ardentes. Par contre, elle aurait pu et pourrait faire un tabac au Couleur Café ou à l’Esperanzah...
Daniel Darc est fidèle à lui-même. Réputé pour ses nombreux excès en tous genres, l’ancien chanteur de Taxi Girl va nous dispenser un concert de toute bonne facture. Le maintien ‘stone’, les mouvements vagues, Darc semble en forme. D’ailleurs, il n’est guère excessif dans l’interprétation de ses chansons. On y recèle même beaucoup de retenue ; mais cette fausse douceur dissimule une agitation qui parfois explose. La foule est déjà bien compacte dans les 'Halles', et le Français est applaudi chaleureusement. Le spectacle de Daniel Darc sera marqué par un rendez-vous manqué. Bashung, qui pourtant se produisait un peu plus tard sur les mêmes planches, ne se montre pas. Sa maladie n'est plus un secret pour personne. On comprend qu’il a besoin de repos, mais en même temps une légitime inquiétude nous traverse l’esprit. Puis on chasse cette idée noire avant de se reconcentrer sur « L.U.V. ». Malgré l'absence de Bashung, excusée par Daniel Darc, la version est excellente. La meilleure compo du concert, à notre humble avis.
Sur le podium de l'‘Open Air’, Nada Surf se démène pour communiquer son sens de la fête. L'exercice n'est pas difficile, la foule est déjà conquise dès l'apparition du trio. Rompu à l'exercice du ‘live’, le groupe manifeste une aisance qui fait plaisir à voir et à entendre. Les spectateurs acceptent volontiers l’invitation de Matthew Caws à frapper dans les mains pour imprimer le tempo ou à jumper sur les dalles en plastique qui recouvrent désormais le bourbier. Rien d'autre à ajouter. Que voulez-vous savoir de plus ? Oui ils ont joué « Always Love » et oui le set était génial.
Nous remontons vers les 'Halles'. Il y a foule dans l'Allée des Saveurs mais le déplacement ne pose pas trop de problème depuis que celle-ci a été élargie à l'occasion de cette nouvelle édition du festival des Ardentes. The Cinematic Orchestra nous plonge au cœur de son univers digital sur la scène ‘HF6’. Un style peu entendu, lors de cette édition, sur le site du Parc Astrid. Les accès jazzyfiants sont lents et cuivrés. L’électro acoustique domine pourtant le sujet. On a aussi l’impression de baigner dans un havre de soul sous les tôles de l'HF6. Difficile de classer cette bête-là. Néanmoins, c’est une étape voluptueuse dans notre parcours.
Nous sommes encore coincés dans l'Allée des Saveurs derrière une troupe de festivaliers flânant nonchalamment quand nous parvient une ovation de la foule. Nous manquons l'entrée en scène d'Arno. Le vieux rockeur ostendais est très attendu par ses fans venus nombreux. Il est remonté à bloc. Sa voix typiquement grasseyante et onctueusement brisée résonne sous les arbres. Tout comme de parfaits gentlemen, nous bousculons à peine les flâneurs et évitons d’écraser les pieds voire les corps des affalés pour tracer jusqu'à l'esplanade, en plein air. Quand nous déboulons sur l'‘Open Air’, plein à craquer, le sujet le plus déjanté de ‘Sa Majesté’ régale déjà le public d'un numéro inimitable. Tout de noir vêtu, chemise, veste et pantalon froissés, le chanteur semble avoir commencé le spectacle en coulisses après avoir consommé deux apéros plutôt qu'un. Sa bonne humeur est communicative. L'humour touchant de « Ma Mère » fait toujours mouche. On s'incline devant la classe du bonhomme quand il entonne « Help Me Mary ». En homme de goût, amateur des bonnes choses, il ne manque pas de souligner son attachement au multiculturalisme. Militant de la première heure pour cette idéologie –que certains estiment saugrenues en ces moments troubles– dénommée 'Belgique', nous aurons droit à un extrait de ‘Brabançonne’ un brin ‘rockeuse’ mais surtout coupable d’une lèse-majesté paradoxalement révérencieuse.
Nous nous détachons à regret du show de l'Ostendais pour nous diriger vers un autre rendez-vous. Girls In Hawaii se produit dans les 'Halles des Foires'. Après l'énergie puisée de l'expérience, nous retrouvons l'exubérance de la jeunesse. Quand on y réfléchit, après avoir assisté aux sets d’Arsenal, de Das Pop, de Tim Vanhamel, de Hollywood P$$$ Stars et d'Arno, on en conclut qu'on vit une époque exceptionnelle. Girls In Hawaii est un autre groupe à mettre au panthéon de notre orgueil national bien placé. Des téléviseurs sont installés sur le podium. Des abat-jours, également. La mise en scène a été soigneusement préparée. C'est joli mais c'est aussi la marque de fabrique des 'Girls'. Quand les paysages bucoliques se mettent à défiler sur les écrans télé, on en a la certitude, c'est bien eux. En matière de générosité, ils n’ont rien à envier aux Hollywood P$$$ Stars. En fougue non plus d'ailleurs. Ayant passé brillamment l’examen du second opus (« Plan Your Escape »), leur réputation n'est déjà plus à faire ; et le public, particulièrement dense des 'Halles', salue la performance du groupe. Décidément, aujourd'hui, nous cumulons les regrets. Nous devons une nouvelle fois abandonner cette ambiance pour embrasser d'autres horizons. Mais il nous suffit de penser à la suite du programme, pour faire contre mauvaise fortune bon cœur et nous consoler de ce départ anticipé.
Il est 21h20. Commence l'événement de la journée. 'Le' spectacle à ne pas manquer, même si vous êtes un irrécupérable pisse-vinaigre qui a des feuilles de choux à la place des oreilles. D’ailleurs on sait que ce soir les tympans vont se délecter. Dionysos, c'est le sens du spectacle. Leur dernier elpee, « La Mécanique du Cœur » est excellent. Le décor nous en met plein les mirettes ; un décor digne de l’univers de Tim Burton. Il y a des horloges partout. Elles font ‘tic-tac’. Certains esprits perspicaces (dont les nôtres) font immédiatement le rapprochement avec le thème de leur dernier elpee. Bien pensé ! Nous n’émettrons plus d’autre réflexion au cours de l’heure qui va suivre, Mathias Malzieu accaparant toute notre attention et notre énergie. Ce phénomène ne risque pas d’être égalé voire battu avant longtemps, vous pouvez nous croire. Devant l'hyperactivité frôlant l'hystérie de l'artiste un peu fou (et magicien), la foule se laisse prendre au jeu. Elle hurle et bondit de joie. Mathias n'est pas le seul détraqué sur scène. Toute la troupe semble saisie d'une frénésie que rien ne peut arrêter. A peine les acclamations des festivaliers accordées entre deux morceaux. Seule Elisabeth Maistre, alias ‘Babet’ semble résister à la contagion. Souriante et gracieuse, elle lance des regards bienveillants autour d'elle avant de saisir son violon pour nous enchanter. Nous aurons aussi le droit de tenter notre chance au concours inventé par le groupe en lançant un tonitruant « Ta gueule le chat ». De l'aveu du chanteur, il est tellement beau que des frites en pleuvraient. Séducteur en plus ce Mathias ! Et increvable. Malgré une course de plusieurs kilomètres parcourus sur l’estrade, le chanteur ne résistera pas à se jeter dans une foule qui le portera aux nues comme il se doit. Si « La Mécanique du Coeur » a la primeur du décor, Dionysos ne renie pas son passé et nous interprète de nombreuses chansons piochées dans son vaste répertoire. Quand le spectacle prend fin, la magie semble encore suspendue encore quelque temps dans l’air. Alors nous en concluons que ces gens-là sont de sacrés faiseurs de rêves... et de redoutables hommes d'affaires. On n'aura pas manqué de remarquer que l'ensemble des morceaux joués par le groupe, ce soir, suivaient un schéma rigoureusement identique. Un début doux, un long crescendo qui aboutit inéluctablement sur un final pétaradant d'une bonne minute ou deux réglementaires. La formule est efficace car elle a la vertu d'exciter les foules. Dionysos l'a compris et s'en sert jusqu’à satiété. On relèvera une petite ombre, mais probablement accidentelle au tableau somptueux qu'ils nous ont dépeint : lors de l’incontournable « Song for Jedi », la délicieuse voix de Babet était mal dosée ; si bien qu'on ne l'entendait quasiment pas. Quel dommage, car la chanson perdait du coup, un peu de son âme...
Même si la nuit tombe déjà sur le festival, ce dimanche est loin de nous avoir montré toute sa richesse. C'est sur l'estrade de l'‘HF6’ qu'Alain Bashung nous attend. Ce grand Monsieur va nous accorder la prestation la plus émouvante de tout le festival. L'homme a du chien, une classe rare. La sobriété de la mise en scène frise l'ascétisme, par rapport aux télés et aux lampes de chevet de Girls In Hawaii. Mais tout détail complémentaire serait superfétatoire chez Bashung. Les musiciens restent en retrait. Il n'y a que de la lumière bleue sur scène et de la fumée. Et puis l'artiste effectue son entrée. Ovation ! Vêtu de noir de la tête aux pieds, il est coiffé d’un chapeau et porte des lunettes fumées. On ne sait si c'est par pudeur ou plutôt pour dissimuler la calvitie qu'il s'est ainsi masqué car, paradoxalement, cet aspect accentue son alopécie et ses sourcils effacés. Mais le couvre-chef est un accessoire qui colle terriblement bien au personnage. La démarche lente, il s'économise. Dès qu’il fait face au micro, sa voix forte, presque caverneuse, retentit ; et en peu de mots, elle captive l'auditoire. Son chant puissant est profond et hypnotique. Ses paroles étanchent des soifs que nous ne soupçonnions pas. Les compos alternent tubes et titres de son dernier album, « Bleu Pétrole ». On savourera tour à tour « Vénus », « Je tuerai la pianiste », « Vertige de l'amour », « Osez Joséphine » et tant d'autres. Il y a quelque chose de touchant dans les mouvements lents du chanteur, ses mimes calculés, la façon même dont l'accessoiriste l'aide à attacher sa guitare, avec un immense respect et beaucoup de douceur. Habitée par quelques vérités mystérieuses, la voix de Bashung nous aura, pour un moment, emporté loin de nos préoccupations actuelles, nous invitant à savourer un pur moment de magie. Les applaudissements du public inviteront l’homme en noir pour deux rappels. En quittant l'‘HF6’, des tas de refrains nous trottent en tête, mais en même temps, un sentiment de nostalgie nous envahit…
Les Dandy Warhols ont le grand honneur et la lourde responsabilité de clôturer un festival des Ardentes qui s'est révélé de haute tenue cette année. Leur musique résonne déjà dans la plaine alors que nous nous élançons, alertes comme on peut l'être en fin de festival, vers notre dernière destination. Il y a beaucoup de mouvements sur les pelouses du Parc Astrid. C'est la dernière tournée des copains et les festivaliers se pressent aux bars. Certains, voulant profiter jusqu'au bout de l'événement, dansent frénétiquement devant le podium. D'autres encore estiment que le moment est propice pour vider les lieux afin d’éviter les embouteillages. Il est difficile de se faire une place sur scène quand on se produit après Dionysos et Bashung. Et si les Dandy ont un excellent répertoire, leurs sets ‘live’ sont souvent un peu mous. Nous avouons ne pas être restés jusqu'à la dernière note du dernier morceau. Comme les mariés partent avant tout le monde le jour de leur mariage, nous nous sommes éclipsés avant que le couperet fatidique de la fin de festival ne tombe, emportant le lot de mélancolie qui l'accompagne. Nous avons de toute façon tous les albums des Dandys à la maison.
On conclura donc que cette édition 2008 des Ardentes 2008 est une réussite totale, même technique. On adressera donc un coup de chapeau aux organisateurs ainsi qu’aux services communaux qui sont parvenus à éviter la catastrophe lorsque les éléments se sont déchaînés, en début de festival. La bonne humeur et les artistes étaient bien au rendez-vous. Peu de mal-lunés. De rares déceptions. Bref, où donc achète-t-on déjà son billet pour la prochaine édition ??