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L’obsession du temps qui passe… Spécial

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Découpé en 11 plages, « The waiting room », le nouvel album de Tindersticks, sert de support à onze courts-métrages réalisés par différents vidéastes. Mais pas seulement. L’aspect musical n’a pas été négligé ; cependant, sans son support visuel, les compos sont plus difficiles à appréhender. Suart A. Staples, le leader était bien évidemment bien placé pour donner son point de vue. L’interview s’est déroulée ce 25 novembre, à l’hôtel Métropole de Bruxelles. Pour un provincial qui débarque dans la capitale, on ressent qu’une atmosphère étrange et angoissante y plane. Il y a des militaires et des policiers à tous les coins de rues. Un climat à la fois rassurant et inquiétant.

Et cette situation entraîne une première question concernant les attentats de Paris, où le clip de « We were once lovers » a été tourné, autour du ring et dans un des aéroports, bien avant le funeste vendredi 13 novembre. D’autant plus que Stuart y séjourne régulièrement. Il s’explique : « Je suis encore sous le choc. Je n’y étais pas à ce moment-là, mais c’est aussi chez moi. Paris, ce n’est pas seulement les soldats dans la rue. La vie est rapidement remontée à la surface. Mais en créant cette psychose, les terroristes ont gagné leur pari ; car tout Parisien ressent qu’il est devenu une cible potentielle… »

En découvrant les vidéos, la veille de l’entretien, il a été difficile de déterminer s’il existait un lien entre chacune d’entre elles. La question méritait d’être posée. Et Stuart clarifie la situation : « En fait, ce projet est né pendant que j’assistais au festival du Court Métrage à Clermont, section expérimentale. J’ai imaginé la confection d’une bonne bande sonore qui puisse servir de support à des images, des images susceptibles d’explorer une multitude de directions ; et ce afin d’en tirer un max de satisfaction. Le but n’était pas de raconter une histoire, mais plutôt de pouvoir rebondir d’une vidéo à l’autre… Il me restait donc à briefer les concepteurs, afin qu’il ne décrivent pas la chanson, mais créent un espace pour qu’elle puisse exister. On a donc choisi volontairement des réalisateurs différents. Pour Suzanne (NDR : son épouse) et moi, il était important que nous puissions nous réserver le premier et le dernier film, afin de conserver la maîtrise de l’œuvre. »

‘Follow me’ ouvre l’album. Sur la vidéo, il n’y a qu’une porte fermée. Mais qu’y a-t-il derrière cette porte ? « La terre tourne. Et au fil des heures, la lumière change. Ma femme est peintre et elle est confrontée quotidiennement aux caprices de ce phénomène. Pour elle, à travers la vidéo, c’était une opportunité de capturer cette lumière au moyen d’un média différent. Car elle était frustrée de ne pouvoir y parvenir à l’aide de sa peinture… » Cette chanson est instrumentale. C’est une reprise d’une B.O. du film ‘A Mutiny on the bounty’ (En version française : ‘Les révoltés du Bounty’) dans lequel jouait Marlon Brando. Un tango. Pas le dernier à Paris. Mais il évoque un autre film de Yann Tiersen, ‘Le fabuleux destin d’Amélie Poulain’. Serait-ce une coïncidence ? Il semble surpris : « Je n’y avais jamais pensé. Cette mélodie trottait dans ma tête depuis longtemps. Je souhaitais marquer une halte avant que l’œuvre ne soit entamée. Comme quand on appuie sur la touche ‘pause’ du lecteur… »

‘Like only lovers’ clôt l’opus. Ce n’est pas une reprise d’Ed Harcourt, dont une chanson porte pourtant le même titre. Et la vidéo visite une exposition d’animaux empaillés. Serait-ce un message adressé aux taxidermistes ou alors une vison de la vie éternelle ? Il réagit instantanément : « C’est mon film. Ma contribution. Ce projet a pris pas mal de temps et exigé une grande dépense d’énergie. En fait, je l’ai complètement sous-estimé. On avait acheté une caméra et un programme d’édition (NDR : traitement d’images et de montage) pour le concevoir, car relever un défi est naturel chez nous. On aime l’esprit de challenge. Mais réaliser un film est un exercice particulièrement difficile. Je suis entré en contact avec une taxidermiste qui nous a prêté des oiseaux issus d’une collection privée datant de plus de 150 ans… On a aussi vu un gars en Grèce qui regardait la mer alors qu’une tempête se préparait. Et c’est cette vision conjointe entre ces oiseaux empaillés et cette tempête en formation, au sein d’un magnifique ciel méditerranéen, qui a suscité cette révélation. Ces deux éléments sont entrés en collision dans mon esprit ; et c’est là que je dois avoir eu une vision de la vie éternelle. J’aime ce morceau de ciel et ces nuages qui passent au dessus de nos têtes, tout comme cette perception de ces oiseaux dans des boîtes en verre. Et ces émotions, j’ai voulu les capturer. Je pense malgré tout, que par rapport aux autres vidéos, c’est un piètre film… »

Le morceau ‘The fear of emptiness’ traduit-il la peur de la mort ? Il admet : « D’une certaine façon, mais pas de manière explicite. Ce n’est pas antinomique (NDR : son GSM sonne…) Personnellement j’utiliserai plutôt le mot ‘edgy’. Il n’existe pas vraiment de traduction exacte en langue française. Un collaborateur français m’en a donné une signification plus ou moins proche ; en fait, cette source d’inquiétude, d’angoisse et d’anxiété se traduirait donc, par ‘la peur du vide’… »

Sur ‘Hey Lucinda’, Stuart et feu Lhasa de Sela, décédée 5 ans plus tôt, partagent un duo. Un contexte pas vraiment évident quand on doit retravailler une telle chanson. Il confesse : « Je l’ai écrite il y a plus de 10 ans. Lorsqu’on l’a interprétée, on n’était pas convaincu par le support musical. Pas que je ne croyais pas à son talent ; mais la musique ne correspondait pas aux vocaux. Et quand Lhasa est partie, je n’ai plus eu le courage de l’écouter. En 2014, l’envie m’est revenue. Il a fallu que je me reconnecte avec ce moment précis où nous chantions ensemble. Et finalement, j’ai enlevé la musique de départ ; puis j’ai reconstruit le morceau autour de cette conversation entre nous deux. Mais pour y parvenir, nous avons dû mobiliser toute notre expérience. C’était presque abstrait de déterminer tout ce qui était nécessaire à mettre dedans. Et quelque part, j’espère qu’on lui a rendu justice… » Sur cette vidéo, on voit des passants qui marchent sur un trottoir devant des magasins de jouets et un Luna Park. Et parfois, ils disparaissent comme des fantômes. Un lien de cause à effet avec sa disparition ? Stuart concède : « Il existe une connexion entre le film et la sensation de la fugacité du temps qui passe, au milieu de la chanson. Et puis les arrangements de cordes accentuent cette impression. Comme si on jetait un regard dans le rétro ; et c’est cette réminiscence que le réalisateur a voulu faire passer… »

Sur ‘We are dreamers’, Stuart partage un autre duo vocal avec Jenny Beth des Savages. Une future collaboration serait-elle en vue ? En outre, sur la vidéo, on est sidéré par cet immense poids lourd dont les roues sont plus grandes que la jeune fille mise en scène, une pelle de chantier à la main. La situation peut même paraître effrayante. Quelle en est l’explication ? « Quand j’ai reçu ce film, c’était un grand moment. J’ai adoré ce que Gabraz et Sara ont réalisé. La manière dont ils ont interprété le concept. Cet aspect futile entre cette jeune fille et le camion gigantesque est très particulier. Comme pour les autres collaborateurs, je leur avais donné carte blanche pour qu’ils puissent développer l’aspect créatif. Je ne voulais pas exprimer mes propres idées et surtout les influencer. Je ne souhaitais, en aucun cas, dévoiler la chanson pour qu’ils puissent la visualiser. Pas de commentaires. Pas de texte. Il y avait un espace de créativité. Et j’ai immédiatement su que cela allait marcher… Bosser à nouveau dans le futur avec Jenny ? Je n’en sais rien (rires). Je cherchais d’autres sonorités. Par exemple des cuivres. Mais quand j’ai entendu sa voix, j’ai su immédiatement qu’elle avait la couleur du film. Je lui ai proposé, et elle a aimé la chanson. Je ne voulais pas qu’elle se contente du backing vocal, mais qu’on puisse échanger un véritable duo. Particulièrement marqué par le contraste entre nos deux voix… »

‘Help yourself’ constitue certainement la meilleure plage de l’elpee. Il y a des cuivres, sous la direction du musicien de jazz britannique Julian Siegal. Elle rappelle même le mouvement jazz/rock qui a marqué les seventies, et dont If, Blood Sweat & Tears et Chicago Transit Authority constituent certainement les références. Il admet : « Cette musique m’a influencé. ‘Help yourself’ est une des premières chansons que nous avons écrite. D’abord on a pensé à autre chose. J’étais occupé de tapoter sur une guitare. Puis je l’ai posée contre la table de mixage ; et je me suis rendu compte qu’elle répercutait une forme de réverbération. J’ai enregistré ces bruits et j’ai créé une boucle. Ensuite, j’ai empoigné ma basse et on s’est servi de cette boucle pour construire la trame. Et quand le groupe s’est pointé, je lui ai dit que j’avais une idée. Les musiciens ont écouté. Et ils ont tous explosé de joie. Quelque part, on est parvenu à injecter de l’énergie fraîche dans ce morceau… A cet instant, je travaillais sur un autre projet en compagnie de Julian et je lui ai dit de faire ce qu’il voulait de cette chanson. Il est revenu avec sa section de cuivres et ses arrangements. Ils l’ont jouée. Nous nous sommes rendus dans la chambre de contrôle (NDR : pour le mixage) et puis, ils l’ont rejouée. On ne savait plus qui faisait quoi. C’était devenu un travail collectif. Comme pour le film. Ce n’est pas comme lorsqu’un artiste compose dans son salon et qu’il file la compo à des musiciens pour l’interpréter sans le moindre enthousiasme. Je préfère entrer en relation avec les musiciens pour générer de la créativité ; leur permettre ainsi de faire fonctionner leur imagination et pas simplement qu’ils se contentent de reproduire la partition du leader… »

‘How we entered’ relate un mariage probablement célébré quelque part en Amérique du Sud, au cours des 50’s ou des 60’s. Le film est en noir et blanc. Pour quelle raison ? « C’est le film de Gregorio Graziosi ! La cérémonie a été immortalisée lors de l’union entre son grand-père et sa grand-mère. Et ça, c’était sa connexion avec la chanson. C’est un film très joyeux et en même temps nostalgique. Pas que le mariage soit triste, mais c’est l’époque qui est nostalgique. Et donc cette musique t’interroge sur ce qui s’est produit entre ce mariage et le moment au cours duquel on a composé la musique de ce film. Il y a ce décalage entre le temps de l’action et le moment de réflexion. On est parvenu à créer un lien entre la musique et la vidéo. Ce n’est ni pesant, ni ironique. On ne cherche pas à délivrer de message. C’est simplement un film qui immortalise un moment dans le temps et la vie d’une personne. Finalement, c’est un souvenir mélancolique d’un temps révolu. Je ressens la connexion entre Grégory et son grand-père. Et je perçois ce que je lui ai demandé… »

L’illustration du booklet a été réalisée par le photographe français Richard Dumas. On y voit un homme avec une tête d’âne, assis à une table. Il attend, mais qui ou quoi. La réponse fuse : « La suite. Ce qui va se produire prochainement. La future idée, le prochain échange. Et cette attente peut durer des mois voire des années… »

Alors finalement, l’elpee sans le film, il tient la route ? « Je ne souhaitais pas que les chansons soient trop dépendantes du film. J’ai voulu qu’elles aient leur vie à part entière. Il a été enregistré avant la sortie des clips L’essence du travail, c’est le disque. Et j’ai l’impression qu’on est parvenu à atteindre un objectif aussi puissant et proche de ce dont on est capable. A partir de là, d’autres idées peuvent rayonner. Ceci dit, l’album étant une priorité ; c’est lui que je veux privilégier. Il est vrai que parfois, ce serait sympa de projeter les films, mais ce n’est absolument pas indispensable… »

Petite boutade pour terminer cette interview, sachez que Stuart n’est pas membre d’un club de tir à l’arc. Il y a d’ailleurs longtemps qu’il n’est plus retourné à Nottingham. « La statue de Robin des Bois est toujours devant le château, mais on lui pique régulièrement toutes ses flèches… »

(Photo : Richard Dumas)

Tindersticks : « The Waiting room » (album paru ce 22 janvier 2016)

Pour voir les photos de la 'release party' accordée ce 23 janvier 2016, au Botanique, c'est ici

Pour regarder les vidéos relatives aux compositions de l'album, c'est

 

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