Thieves est comme ces créations posthumes aussi profondément belles que frustrantes. Le soubresaut inattendu. Le couteau dans la plaie pour qui regrettait déjà amèrement la séparation des cinq Canadiennes. « Grab that gun » (2004) avait conquis par sa mélancolie électrique restaurant au féminin la grandeur des Smiths. Mais pas assez pour assurer la suite dans une industrie musicale hostile et formatée ; surmenage et discordes avec leur label Too Pure, diront-elles, ont brutalement balayé leurs illusions. Nos illusions. De pouvoir encore s’abreuver à cette sombre beauté qui fait si bien écho à nos vies aigres-douces. De pouvoir s’épancher en boucle sur cette énergie passionnelle traversée par le timbre androgyne de Katie Sketche.
Thieves approfondit ces mélopées ténébreuses mais illuminées à travers six titres en étoile filante (à peine 15 minutes). L’enregistrement lo-fi (dans un salon) ne fait que renforcer le tempérament et la beauté brute des morceaux. « Even in the night » et « Don’t be angry » touchent précisément par un dépouillement d’où résonne superbement cette voix profonde et troublante. « Oh What A Feeling » et « Fire in the ocean » l’emportent par une fièvre irrésistible coincée quelque part entre regret et détermination. Toujours guidé par le fameux orgue Hammond –d’où « The Organ » –, cet Ep d’adieu continue de tanguer délicatement entre la chaleur pop et la froideur new-wave. Et c’est au creux de ce paradoxe à visage humain que s’opère l’alchimie de The Organ ; ces mélodies simultanément puissantes et fragiles s’offrent pour sublimer la douleur et transcender le passé. S’en plaindront ceux qui se braquent face à l’anachronisme ; y plongeront sans réserve ceux que cette superbe catharsis éveille à la vie.