Déjà trois longues années que le sol des Nuits Secrètes n'avait pas été foulé par votre serviteur.
Situé dans la petite ville post-industrielle d'Aulnoye-Aymeries, une bourgade du nord de la France nichée au creux du bassin de la Sambre, ce festival est devenu, au fil du temps, une véritable institution et propose un line up de plus en plus solide.
S'il y a quelques années encore, on pouvait se rincer les portugaises sans mettre la main au portefeuille, il faut désormais allonger les biffetons pour obtenir le précieux sésame. Mais, ici, le prix des billets d'entrée sont encore relativement accessibles contrairement à beaucoup d’autres festivals. Les coûts liés aux cachets des artistes et à la sécurité se révélant de plus en plus conséquents, cette politique pourrait prendre un autre visage lors des prochaines éditions.
Pour les moins chanceux (et les plus radins), il reste une poignée d'artistes qui se produisent dans les rues sinueuses de cette ville, théâtre de son événement annuel le plus marquant.
Les Nuits Secrètes fêtent leurs 20 ans d'existence. Les organisateurs n'ont pas fait dans la dentelle. Des nouveautés, il y en avait donc. A commencer par la réorganisation complète. Et un nouvel accès mieux agencé pour permettre d'agrandir le site.
Et qui dit plus d'espace, signifie plus de confort, de tranquillité et de musique évidemment. La programmation a elle aussi été repensée et amorce un virage vers le hip-hop, le rap et l'électro, une tendance empruntée par le Dour Festival depuis quelques années et qui rencontre une certaine hostilité dans la frange de public plus âgée. Gageons que les Nuits Secrètes ne tombent pas dans les mêmes travers.
Les NS misent désormais davantage vers le durable et le circuit court. Les nombreux stands proposent des produits locaux en tout genre. N'y cherchez donc pas du soda pétillant noir, c’est peine perdue…
La main stage a été déplacée, permettant une meilleure visibilité. L’Eden, infrastructure métallique surmontée d'un toit rouge, initialement conçue pour accueillir le pôle régional des musiques actuelles, est également en place. C'est le seul endroit où s'abriter lorsqu’il pleut. Par temps ensoleillé, des brumisateurs permettent de profiter d’un peu de fraîcheur.
Une nouvelle scène trône désormais aux côtés de ses deux petites sœurs, ‘La Station Secrète’, de taille plus modeste. Un autre endroit propose également de diffuser de la musique. Il s'agit de l'’Oasis’, niché à un endroit un peu plus décentré.
Ce qui fait l’originalité des Nuits Secrètes est toujours d’actualité : les parcours secrets, ces lieux insolites découverts par le public de manière fortuite ou encore les Agents Secrets, c'est-à-dire tous ceux qui, postés aux endroits stratégiques, œuvrent pour que les festivités se déroulent sans encombre.
En cette première journée, le ciel est maussade. Pourvu que Dame nature retienne sa vessie. Ce serait une catastrophe pour bon nombre de festivaliers, car pour des raisons de sécurité, les parapluies sont interdits…
Il aura fallu pratiquement trois heures à votre serviteur pour accéder au site : entre manque d'information, absence de fléchage et défections d'accréditation liées au manque de réseau internet, les raisons de déserter étaient plurielles.
Enfin, il paraît que ce sont les aléas de tout événement de ce genre...
Bref, à peine arrivé sur place, force est de constater que la foule est relativement jeune. Trainings ‘Adidas’ et paires de baskets ‘Nike’, on dirait, à s'y méprendre, une compétition sportive. Les casquettes sur la tête sont aussi légion, palettes sur le côté svp. Il faut dire qu'une des têtes d'affiches attire ce type de public.
Direction l'Eden. L’abri est bien rempli. Au loin, les rythmiques électroniques retentissent. Pas vraiment la tasse de thé de votre serviteur. Mais la curiosité le pousse à franchir le pas.
Une gonzesse se tient au milieu de l'estrade. Il s'agit de SHYGIRL. Provocante à souhait, minois pas dégueu, elle semble cacher une certaine pudeur. Son esthétique, aussi bien musicale que vestimentaire, détonne. Elle apprivoise la scène avec une aisance inopinée.
Elle a gravé, il y a maintenant pratiquement deux ans, un album intitulé « Alias » qui a bien tourné dans les boîtes branchées de la cité londonienne.
Très énergique, impétueuse même, elle livre un set étonnant, chargé de beats industriels et féroces.
Nouvelle figure de la scène musicale underground londonienne, co-fondatrice du label NUXXE aux côtés de Sega Bodega et Coucou Chloe, Blane Muise, à l'état civil, pratique une électro mi-sombre, mi-acide sur fond d'érotisme débridé.
Elle a convaincu un public qui ne semblait pas pourtant, a priori, très ouvert à ce genre de lecture musicale. Pari gagné.
Direction la grande scène, pour assister au show de Damso. La foule est compacte. Faut dire que le grand black est une figure de proue de la scène rap. Et reconnaître que dans cette région du nord de la France, sa popularité est incontestable.
Sa musique est inspirée de son enfance, vécue à Kinshasa, ainsi que son adolescence, dans le quartier bruxellois de Matonge, en Belgique.
Actif dans le milieu depuis 2006, il a vu sa carrière véritablement décoller en 2015, lorsqu'il est repéré par Booba.
Lorsque le compte à rebours commence, haletante, la foule sait qu'il reste à peine 10 secondes avant que l’artiste grimpe sur le podium. Une éternité pour certains au vu des cris stridents perçus ici et là par des centaines de jeunes filles prépubères. Probablement en chaleur...
Faut dire que le gus est le rappeur francophone le plus écouté au monde. Son dernier album, « QALF Infinity », paru l'année dernière, a battu des records sur Spotify en comptabilisant seize millions d’écoutes en un jour. Une prouesse impensable pour un artiste belge qui ne fait pas carrière sur le plan international comme son compatriote Stromae, par exemple.
A ‘0’ pile poil, un vaisseau de lumière envahit le podium. Des jets de feu jaillissent de toutes parts. Le spectacle est d'une précision millimétrée. Une prestation digne des plus grands de ce nom.
Le frontman apparaît. Il est le seul aux commandes. Ni musicien, ni DJ à ses côtés. Pas vraiment expansif, il se contente de déblatérer ses chansons ponctuées d'un ‘ok’, forme de mimétisme verbal. Comme s'il s'agissait de la seule manière de s'adresser au public !
Peu importe, l'artiste se suffit à lui-même pour remplir l'espace scénique. Il pioche dans un répertoire dont la palette est particulièrement large, histoire de combler ses fans. Des compos tirées aussi bien de « Batterie Faible », que de « Ispéité » ou encore de « Lithopédion » (Feu de bois). Sans oublier « QALF Infinity » (« Morose », une chanson plus douce). Des featurings, il en sera aussi question, comme cette histoire de « Rencontre » avec Disiz.
Si ses textes sont relativement crus et empruntent de temps à autre des propos sexistes (qui lui ont d'ailleurs valu les foudres du Conseil des femmes francophones), Damso mise avant tout sur l'intensité. Entre un côté rageur et une forme de tranquillité subversive, il cultive une forme de paradoxe. Les aficionados aiment et lui rendent bien en s'exaltant à chacune de ses interventions.
Hormis, les effets visuels et les écrans sur lesquels des extraits de ses clips sont projetés, le concert est resté minimaliste. Mais peu importe, Damso, visiblement en grande forme, a cette capacité de fédérer et d'offrir un spectacle haut en couleurs
Il est 22 heures lorsque le concert s'achève. Il fait nuit noire.
Une première journée qui commence fort. Peu d'artistes découverts, mais d'une grande qualité. Les Nuits sont décidément bien secrètes sur la plaine d'Aulnoye-Aymeries…
(Organisation Nuits Secrètes)
SHYGIRL + Damso