Sur la plaine de festival de Dour, la météo a de nouveau changé de visage. Aujourd’hui, il fait vraiment très (trop) chaud. Une horreur ! Pas un pet d’air à l’horizon, alors que les scènes sont situées dans un couloir de vents, d’où la présence de ces éoliennes démesurées qui attisent la curiosité des uns et des autres.
Et comme Dour rime avec démesure, bon nombre de filles se promènent en sous-tif. Y en avait des nichons ! Et à l’instar du « Zizi » de Pierre Perret, parmi les ‘lolos’, il y avait les vrais, les faux, les laids, les beaux, les durs et les mous…
Comme la fin de semaine est propice au relâchement, la foule s’est évidemment pressée pour fêter dignement le début du week-end.
Autant y aller tout de go, la programmation de ce vendredi est plutôt mollassonne, car la plupart des scènes sont consacrées soit au rap, au hip hop ou encore à la musique électronique.
Il faudra attendre samedi et dimanche pour espérer davantage de rock, un style qui plaira à une large frange de public, encore minoritaire pour l’instant. Il en faut pour tous les goûts, paraît-il !
Donc, à défaut de têtes d’affiches alléchantes, votre serviteur se laisse guider par son intuition. Il se plante donc devant la main stage, baptisée ‘Arena’. Elle est située à une encablure du VIP. Un endroit réservé à une élite, mais le plus consternant, c’est que la plupart de ceux qui s’y cantonnent, ne s’aventurent même pas sur le terrain. On ne mélange pas les genres, hein !
Dour, ce n’est pas la brousse, quand même ! D’accord, il est vrai qu’on risque d’y rencontrer aussi bien la faune, et notamment ces festivaliers aux accoutrements dignes d’un carnaval ou de la Gay pride, que la flore, au gré de ces odeurs qui vous titillent les narines mais ne ressemblent pas aux bâtons de santon.
Très objectivement, caricaturer ce festival à ces seuls descriptifs serait réducteur. Car le DF est bien plus que ça, n’en déplaise à ses détracteurs ! C’est surtout l’endroit rêvé dédié à l’underground, un lieu où il fait bon vivre et où on peut espérer un lâcher-prise réel dans ce monde de brutes et aseptisé. Et par les temps qui courent, c’est un véritable luxe.
Les gens se sont massés en nombre pour Skepta. Manifestement, il attise la curiosité. Et puis, le soleil s’est caché derrière l’immense structure scénique et procure une ombre salvatrice. Et croyez-en l’expérience d’un vieux de la vieille comme votre serviteur, elle devient vite une richesse au même titre que l’eau.
Une rapide consultation sur le line-up du site internet du festival (très bien conçu du reste), renseigne que le gars est un rappeur. Un de plus ! Un de trop ! Que faire ? Prendre ses jambes à son coup ? A quoi, bon, les autres scènes ne proposent pas mieux !
La curiosité est quand même de mise car, si Skepta baigne dans un truc mille fois entendu, singularité, il s’exprime en anglais.
L’artiste connaît bien ce festival pour s’y être déjà produit en 2016. Un habitué des lieux, donc.
A l’époque, il avait assuré sa prestation dans la Boombox. Bénéficier de la grande scène démontre que d’artiste en devenir, il obtient aujourd’hui le statut de chanteur confirmé.
Votre serviteur est entouré de jeunes de moins de 20 ans qui le regardent comme un extraterrestre. Un de ceux-là vient même le questionner sur son âge. Un comble alors qu’il est coiffé d’une casquette identique !
De son vrai nom Joseph Junior Adenuga, c’est un rappeur, certes, mais aussi producteur de musique britannique originaire du Nigeria. Il est le frère du musicien J.M.E (Jamie Adenuga) et de la présentatrice de radio Julie Adenuga.
Il a fondé le collectif Meridian Crew, nommé ainsi pour rendre hommage à la rue où il vivait dans le quartier de Tottenham. Il a bossé en compagnie d’artistes d’horizons divers (Blood Orange, Earl Sweatshirt, Ratking et même Idris Elba). Il sort son premier elpee (un best of !) « Greatest Hits » en 2007 et « Microphone Champion », en 2009, comme indépendant. Son troisième opus studio, « Doin' It Again », paraît en 2011 sur le label AATW qui l’a signé. C’est grâce à son quatrième long playing, « Konnichiwa », gravé en 2016, qu’il décroche son plus gros succès, et remporte le Mercury Prize.
Il propose un show bien rythmé enrichi de projections d’images qui soulignent la gravité des propos.
Contrairement à pas mal d’homologues de sa génération, il n’y pas d’exagération, ni dans les gestes, ni dans le discours, évitant ainsi bien des retours de flammes. Un concert, moins impénétrable et donc plus abordable !
L’homme est, comme souvent dans ce style musical, accompagné d’un collaborateur qui se charge des platines. Affichant une sincérité à toute épreuve, c’est un pionnier du grime, un rap au bpm très rapide. La sono crache des sonorités qui incitent la foule à danser.
Ses productions brutes, sombres et convulsives sont portées par un flow musclé. On le sent tantôt revanchard, tantôt résigné face aux défis et vicissitudes de la vie.
Une chose est sûre, il sait parfaitement compter jusque trois. Une démonstration : ses compositions commencent toujours par un ‘One, two, three’. Skepta adepte des mathématiques ? Il n’y a qu’un pas que l’on n’oserait franchir !
Direction le ‘Garage’, haut lieu emblématique des fans de guitare, basse et batterie. D’un pas pressé, votre serviteur arrive sur le site en quelques minutes seulement, tel un marathonien aux jeux Olympiques. A défaut de trophée, il espère un concert de bonne facture.
L’auditoire est majoritairement constitué de mecs aux gros bras tatoués. Vu son mètre soixante-sept et ses soixante-huit kilos, votre serviteur a donc tout intérêt à ne pas la ramener, sans quoi il risque de prendre une beigne.
Quoique, parmi les spectateurs, un gamin d’à peine trois ou quatre ans titube sur le sable qui recouvre le sol. S’il me cherche, lui au moins, je peux le castagner ! A ses côtés, un homme marche difficilement également. Mais lui, précisément, ce sont les effets de l’alcool. Il a bien raison le gaillard, l’eau ça rouille !
Originaire de Lille, dans le Nord de la France, Oddism sort son premier Ep en 2014. Autoproduit, il s’intitule « The Odd One ».
S’il épouse à ses débuts du post-hardcore, sa musique vire ensuite au mathcore (« Dance In the Maze »).
Dès les premières secondes, les envolées lyriques du gars préposé au chant défoncent les tympans. Il vocifère, hurle. Très franchement, on dirait qu’il est en train de vomir et de proférer : ‘Raoul, le cri qui dessaoule’.
Si la formation donne l’impression de jouer n'importe quoi, n'importe comment, c’est évidemment un leurre. Parce qu’effectivement, ses structures musicales sont complexes et les riffs recherchés. En outre, la rythmique frénétique du préposé aux fûts détonne par rapport à son jeu de double pédale à la grosse caisse. C’est aiguisé comme une lame de rasoir et fin comme une tranche de jambon.
Un genre déjà exploré. Mais à contre-courant de ce que votre serviteur écoute le plus souvent. L’expression sonore oscille du rock à la pop, en passant par le post-rock, la dream-pop ou encore le shoegaze.
Bref, il se sent aussi seul qu’un cheveu sur la langue. Ne s’agit-il pas tout simplement de l’application ‘bête et méchante’ de la vieille méthode d’apprentissage de la vie, l’essai-erreur, caractérisé par des essais divers qui sont continués jusqu'au succès de la recherche ou jusqu'à ce que le testeur arrête sa recherche ?
L’estrade devient une arène où des joutes d’un autre siècle se jouent, chacun exécutant une danse étrange en effectuant des mouvements de tête allant du bas vers le haut. Si les cheveux n’y sont plus, les longues barbes font l’affaire. Le paon ne fait-il pas la roue pour attirer les femelles pendant la période de reproduction ? Qu’il danse en faisant bouger ses plumes de façon qu'elles reflètent la lumière, rendant ainsi ses couleurs d'autant plus visibles ? Ici, pareil, mais à défaut de queues (quoi que !), y a la barbouze.
Bref, Oddism propose ici un genre explosif, tonitruant, imprévisible et d’une puissance sidérale.
Préférant le ‘Garage’ à toute autre scène, votre serviteur reste planqué comme un piquet de béton ancré dans le sol pour y voir et écouter Billy Nomates.
Elle est née et a grandi dans l'agglomération de Leicester, et a milité au sein de nombreux groupes.
Un concert de Sleaford Mods auquel elle assiste en 2019 lui donne l'élan nécessaire pour se lancer dans une carrière solo.
Elle publie son premier elpee –un éponyme– en août 2020. Pour y parvenir, elle a reçu le concours de Geoff Barrow. Un Ep baptisé « Emergency Telephone » est publié en 2021. La même année elle chante sur un titre de l'elpee de Sleaford Mods, « Spare Ribs ». Enfin, en 2023 elle écrit et produit elle-même son deuxième long playing, « Cacti ».
Elle est loin d’attirer la foule. Restons positifs, regardons le verre à moitié plein, plutôt qu’à moitié vide !
Elle est blonde et arbore une crinière de lionne. Elle se présente seule sur les planches. Ses musicos sont-ils morts de soif ? Elle a juste opté pour cette configuration, son seul support reposant sur une bande-son. Quel dommage ! L’intérêt d’un concert est bien sûr musical, mais aussi et surtout visuel. Autant écouter des disques alors !
Même la principale intéressée n’est pas surprise de constater que ses fidèles se ne sont pas donné rendez-vous. C’est dire ! Les complotistes y verront un rapport de force, ‘No mates’ signifiant ‘qui n’a pas d’amis’. Ah, mais bien sûr !
La blondasse nous accorde donc une prestation en playback. Ou comment Billy Nomates devient l’antithèse d’un concert de rock ou de punk.
Pourtant, faisant d’une faiblesse une qualité, la jeune demoiselle prendra le contre-pied en proposant un set étrangement énergique. Au programme de ce soir : danse, sauts et autres numéros dignes d’une saltimbanque. A pieds nus ! Faut se préserver, arrivé à un certain âge, paraît-il !
La voix de Billy est sauvage. Elle invite au voyage à travers les contrées sauvages, alors même que les thématiques abordées relèvent plutôt de la franche dépression. Peut-être que ses cabrioles sans chaussures ni chaussettes permettent d’exorciser de vieux démons, à l’instar de « Saboteur forcefield », un morceau un peu mou du genou ou encore « Blue Bones » et son envie de bien faire.
Se servant de sonorités dance, rock et rap, elle est parvenue à faire la différence à l’aide du peu de moyens dont elle disposait. La recette ? Un charisme évident et une énergie folle !
Dernier retour vers la main stage pour ce soir. Kaaris y est programmé. Surprise… c’est un rappeur !
Décidément, vu le nombre de concerts de rap auquel votre serviteur a assisté, il va devenir champion de la fine lamelle d’Emmental.
Le gars fédère visiblement ; la plaine est blindée de people. Et casquette vissée sur la tête, pardi !
De son véritable nom Armand Gnakouri Okou, ce Français est également parolier et producteur. En 2013, il publie « Or noir », produit par Therapy Music. L'album connaît un tel succès que l'artiste le réédite. Il est considéré comme le rappeur qui a popularisé la trap en France. Sa tournée est directement inspirée de cet elpee. Il vient y fêter ses 10 ans.
Dans le milieu, il est préférable de baptiser un disque « Or noir » plutôt qu’« Or dure », y a moins de risque de se faire censurer.
Le gars est black de chez black ! Comme s’il sortait de la mine (NDLR : en 1935, Dour constituait l'un des centres miniers les plus importants, en Belgique, et le dernier charbonnage a fermé définitivement ses portes en 1961).
Et avant d’entamer son concert, on sent qu’il est chaud-boulette. Mais la comparaison s’arrête là, votre serviteur souhaitant éviter le même procès d’intention que le ‘Sauvage’, personnage emblématique de la ducasse d’Ath.
Le gars n’échappe pas à la règle. Ses textes sont incisifs et dénoncent tout un tas de vieux combats, passant de l’hymne anti-police, à la culture de la guerre (« Kalash Criminel »). Son phrasé, c’est une ligne dialectale usitée par tous les banlieusards.
Kaaris ne s’est probablement pas plongé, au cours de son enfance, dans la littérature raffinée respectueuse des règles orthographiques et grammaticales, usant et abusant dans d’une de ses compos (« Zoo ») de ‘strings et de chattes’. Peut-être, dispose-t-il de prédispositions vétérinaires ?
Sur un autre morceau il rend un bel hommage à Shannen Doherty, rendue populaire dans Beverly 90210, où il s’exclame ‘J'encule Brandon et Dylan’. Si ça, c’est pas sympa !?
Un artiste qui aime aussi de grands noms de la poésie française, comme Verlaine ou Baudelaire lorsqu’il chante « Ciroc » (‘J'crois qu'y'a assez d'place dans ton cul pour y mettre ma bouteille de Ciroc/Tu sors avec le string sur les beuj', on rentre avec un 100 meujs’).
L’artiste prodigue un rap trap, genre musical issu du hip-hop sudiste, qui a émergé au début des années 2000 dans le sud des États-Unis. Un style qui se caractérise par son contenu lyrique et un son particulier, lié notamment à l'utilisation importante du kick de la boîte à rythmes.
Votre serviteur, devenu soudain marginal autour de la bande animale, se met à utiliser les poncifs des milliers de personnes présentes, pouce et auriculaire relevé et balancement du bras droit, avec la palette vissée vers l’arrière svp. Manque plus que la chemise ouverte et la chaîne en or qui brille.
A cause de ses textes irrigués par la violence et les outrances, Kaaris a tout récemment fait l’objet d’une plainte pour homophobie : ‘Si ces pédés crament au napalm, j’veux la palme’. Des paroles qui relèvent de l’injure et d’incitations publiques à la haine ou à la violence à l’égard d’un groupe de personnes à raison de leur orientation sexuelle.
Une compo qui ne provoque ni haine, ni colère à Dour, car l’auditoire est, semble-t-il, habitué, depuis de nombreuses années, à ce type de discours. Le personnage est fantasque, plutôt drôle, et tombe dans une facilité et mièvrerie déconcertante. Comme dirait l’autre, ‘il est gentil !’, une manière détournée de qualifier un idiot de première catégorie.
En acceptant cet artiste en terre Sainte, le DF ne devient-il pas le complice d’un comportement et de paroles borderline ?
La nuit s’est installée, la lune éclaire distinctement la plaine du festival, encore pleine à craquer. Ne dit-on pas que les loups chassent la nuit ? Les Kassos se sont en effet donné rendez-vous pour faire la fête. La bière coule à flots. Votre serviteur file tout droit au VIP, afin de prendre un peu de recul.
Demain est un autre jour !
(Organisation : Dour festival)