Héritiers perdus de la ‘punktitude’, My Bloody Valentine incarne aujourd’hui une référence pour toute la scène noisy-pop (pensez à Ride, Chapterhouse, Blur, Lush, etc.). Pourtant, ce mythe s’est développé indépendamment de leur volonté. Et paradoxalement alors que leur création prenait une nouvelle orientation. Après trois années de relative léthargie, MBV s’est décidé à sortir « Loveless », un album ‘post-néo-psychédélique’ (et le mot est faible). Un disque qui joue avec les ondes mélodiques. S’ils sont particulièrement bruyants sur scène, les musiciens utilisent beaucoup le flou artistique lors de l’épreuve de l’interview. La formation est au grand complet, mais seuls le drummer Colm Ó Cíosóig et le chanteur/guitariste Kevin Shields (NDR : ce sont aussi les membres fondateurs) répondent aux questions…
Comment est née l’aventure My Bloody Valentine ?
Colm : Tout a commencé à Dublin. La scène rock y était tellement ennuyeuse que nous avons voulu lui donner un coup de fouet. Comment ? En montant un groupe, un groupe capable de faire du bruit, beaucoup de bruit, mais du bruit mélodique. Nous avons joué un concert, puis un autre concert… mais comme cela ne marchait pas très fort, nous avons décidé d’émigrer sur le Vieux Continent. Un périple aux Pays-Bas, puis surtout en Allemagne où nous avons enregistré un mini-album. Finalement, nous sommes revenus à Londres pour nous y fixer…
Pourquoi jouez-vous si fort en concert ?
Kevin : Au cours de notre adolescence, nous recherchions les concerts de rock qui faisaient le plus de bruit. Nous en avions marre de cette musique calme, sans punch, au sein de laquelle se complaisaient des artistes atteints par le syndrome de la nonchalance. Ceux qui fréquentent les night-clubs savent combien il est excitant et juvénile de se laisser inonder sous le flot de décibels… J’ajouterai même que les groupes qui pratiquent aujourd’hui le hard-core et le heavy metal ne sont pas assez bruyants. Nous prenons notre pied en jouant fort sur scène. C’est un exutoire face à la monotonie de la vie quotidienne. Et puis, nous ne voulons pas plaire à tout le monde. Nous visons un public bien spécifique, un public qui s’éclate autant que nous.
Pensez-vous qu’il soit possible de jouer plus fort que MBV ?
K. : Oui, pourquoi pas ? Nous développons un niveau de puissance appréciable, mais il est toujours possible de le dépasser. Nous pourrions d’ailleurs en faire la preuve ce soir (NDR : Help !)
Que pensez-vous de tous ces wagons ‘noisy’ qui restent accrochés à la locomotive ‘My Bloody Valentine’ ?
K. : La presse est responsable de cette façon de mettre des étiquettes. Tous les groupes sont différents, même si nous devons admettre avoir exercé une certaine influence sur certains d’entre eux. Etait-il vraiment nécessaire de transformer l’idée de base ‘noisy’ en scène homogène ?
Vous ne croyez pas à cette scène ?
K. : Elle ne concerne que Ride, Lush et Blur. Pas pour des raisons musicales, mais parce que leurs musiciens fréquentaient les mêmes clubs londoniens. Evidemment, les journalistes n’ont pas manqué l’occasion de photographier leurs rencontres, et puis, ils se sont mis à monter en épingle un concept…
Les Pale Saints nous ont raconté qu’il existait, quelque part dans les Midlands, une grande maison où les groupes de ‘noisy’ se rencontraient pour écrire des chansons ensemble. Est-ce exact ?
K. : Non, c’est une plaisanterie.
C. : Ou une légende, peut-être…
Pensez-vous qu’il soit encore possible d’inventer de nouveaux sons dans la musique rock ?
K. : J’espère que oui, mais je ne suis pas tout à fait sûr…
Qu’est-ce que la musique psychédélique représente pour MBV ?
K. : A l’époque, les groupes psychédéliques pouvaient se permettre de décrocher un hit tout en conservant leur originalité. Peu à peu, tout s’est déglingué, et au milieu des eighties les artistes rock ont même été forcés de se prostituer au marketing ou de suivre la mode pour espérer entrer dans les charts. Heureusement, les firmes de disques se sont enfin rendu compte que la musique alternative pouvait se vendre. Elles se sont mises à encourager la création. Faut dire aussi que le public en avait marre de se faire rouler dans la farine. Et puis la ‘house’ a donné une nouvelle impulsion à la pop. D’ailleurs, ceux qui n’ont rien compris sont tombés de très haut. Et ils ne sont pas près de s’en remettre. La house a permis une régénération de la création musicale…
Vous avouez donc avoir été influencés par la house ?
K. : Absolument. C’est même une influence fondamentale, surtout pour le rôle exercé par les guitares.
Pourquoi a-t-il fallu attendre si longtemps avant la sortie de notre nouvel album ?
K. : Nous préférons concentrer nos idées et notre énergie sur un seul album plutôt que de ressasser indéfiniment la même mixture. L’enregistrement de « Loveless » a nécessité sept semaines. C’est assez long, mais cela se justifie par les changements successifs de studio. Relativement peu onéreux, ils étaient le plus souvent de piètre qualité. Mais ce qui nous a vraiment assommés, ce sont les bobards d’Alan Mc Ghee (NDR : le boss de Creation). Il est allé raconter que nous avions exagéré les dépenses pour l’enregistrement de l’album. Il a avancé des chiffres largement exagérés. Non seulement nous avons dû bosser sur du matériel peu performant, mais cette opération n’a coûté que 14 000 £ (NDR : 21 000 €). Cette somme peut paraître importante, mais elle est dérisoire par rapport aux investissements engagés pour les autres groupes.
Vous n’étiez pas satisfaits de votre label ?
K. : Non. Creation a fait preuve d’un manque flagrant de professionnalisme. Et nous nous sommes exprimés en conséquence. Alan McGhee l’a très mal pris ; il s’est senti blessé dans son amour-propre et nous a flanqués à la porte. Pourtant, nous avons toujours beaucoup de respect pour les gens qui travaillent chez Creation. Ils sont tellement passionnés par la musique ! Mais beaucoup trop de leurs groupes se sentent frustrés parce que l’aspect promotionnel n’est pas suffisamment approfondi. Depuis notre départ, plusieurs labels nous ont proposé un contrat. Mais nous ne sommes pas pressés. Nous ferons un choix après mûre réflexion…
L’album ne serait-il pas à la hauteur de vos espérances ?
K : Il constitue une nouvelle étape dans l’évolution du groupe. Il a été produit par un DJ. Teenage Fan Club est trop vieux pour confier la finition de son travail à un DJ. Pas que ce soit mal d’être vieux jeu, mais avant de se remettre en question, sans prendre certains risques, il serait illusoire d’envisager le moindre souffle d’air frais sur la musique.
En Grande-Bretagne, les différences sociales sont particulièrement marquées. Pensez-vous que ces inégalités se reflètent à travers la musique ? Noisy d’un côté, groovy, baggy, de l’autre ?
K. : Effectivement, mais chez les ‘baggy’, cette différence n’est pas aussi marquée. Tous n’appartiennent pas à la classe ouvrière. Quoique ! Peut-être Happy Mondays. Et encore ! Le père de Bez est officier de police. Ride et Chapterhouse correspondent probablement le mieux à la ‘middle class’. Mais la plupart des groupes sont composés de musiciens issus de tous les milieux sociaux. ‘Middle class’ ou ‘working class’, qu’importe ! Encore une fois, ces étiquettes ont été fabriquées par les médias. Par exemple, nous comptons de nombreux fans à Newcastle, une cité ouvrière…
Pourtant, votre style musical attire surtout les étudiants !
K. : Non, il n’y a pas d’âge pour apprécier notre musique. Aussi bien le concept visuel que musical intéresse les jeunes de quatorze (NDR : divisez par deux) à septante-sept ans. Lors de nos concerts, vous rencontrez des teenagers, mais également des quadragénaires qui retrouvent une certaine relation avec la musique des sixties.
Comment s’est déroulé la ‘Rollercoaster’ entreprise en compagnie de Dinosaur Jr, Jesus & Mary Chain et Blur ?
K. : Il est toujours intéressant de faire une tournée avec d’autres groupes. Mais pour la ‘Rollercoaster’, nous n’avons pas recueilli les fruits de cette expérience. La demande de tickets était tellement forte que nous avons été obligés de jouer dans des arènes (NDR : des endroits comparables au Cirque Royal de Bruxelles qui permettent de concentrer 2 000 à 3000 places debout). Ce sont des salles inadaptées qui empêchent toute communication entre le groupe et le public. En Angleterre, il n’existe pas de salle appropriée au-delà de 1 000 personnes.
Si vous deviez mettre au point votre propre tournée, quels groupes choisiriez-vous ?
K. : Certainement des groupes qui s’inspirent de notre démarche. Des groupes progressifs tels que Mercury Rev, Pavement. Nous allons d’ailleurs tenté de les engager pour notre tournée américaine.
Est-ce que les problèmes socio-économiques qui rongent l’Irlande vous touchent encore ?
C. : C’est une question qui concerne tous les Irlandais, et elle me touche personnellement. J’essaie de ne pas trop y penser, parce que la politique ne m’intéresse pas. Les exactions commises par l’IRA me répugnent. Il est quand même malheureux de voir les gens mourir pour des mobiles politiques. Je pense aussi à cette foutue guerre du golfe qui n’aurait jamais dû se produire. N’est-ce pas ridicule de faire la guerre pour imposer ses opinions.
Merci à Christophe Godfroid.
Interview parue dans le n° 4 du magazine Mofo de juin 92.