La programmation de l’AB ne manque jamais de nous surprendre et de nous ravir. Ainsi, ce jeudi soir, l’antre sombre et brumeux de l’AB Club recelait les mélopées claires-obscures du tragédien teuton Konstantin Gropper (Get Well Soon) et les ballades bucoliques du folkeux étasunien Micah Rabwin (Musee Mecanique). Deux artistes atypiques aux horizons musicaux divergents.
Musee Mecanique compte parmi ces groupes qui vous surprennent au détour d’un concert. 25 minutes durant lesquelles le trio de Portland distille un post-folk bucolique aux saveurs irlandaises. Douces mélodies qui évoquent les ballades mélancoliques d’Adrian Crowley. Un instant intimiste qui vous caresse délicatement l’âme et vous plonge dans la tendre léthargie hypnotique d’un songe que l'on souhaiterait indéfiniment voir se prolonger. Trois multi-instrumentistes de talent à découvrir plus amplement…
Get Well Soon expose la tragédie moderne de Konstantin Gropper. Soudainement, la silhouette frêle et le visage exsangue du chantre du cynisme irradient les planches vaporeuses du club de l’Ancienne Belgique. De son dernier opus émane une beauté crépusculaire (« Vexations »). Le dernier projet musical de Gropper se drape d’un authentique concept artistique. Un spectacle tant visuel que sonore enrichi d’une mise en scène minutieuse et hypnotique. Le background couvert d’extraits de film et la scène font corps. Les six musiciens présents sur les planches s’évadent et hantent les images projetées sur la toile. Le rêve et le réel s’entremêlent et guident doucement vers un voyage surréaliste ouvert par « Senecas Silence ». Symphonie magistrale qui aurait pu aisément faire office de bande son au célèbre Faust, une légende allemande de Murnau. La passion du jeune artiste berlinois pour le cinéma et la musique classique (passion héritée d’un père professeur de musique précisément classique) magnifie sa pop lyrique. Un drama-pop aux arrangements musicaux absolument parfaits et méticuleusement planifiés. Une poésie délicate architecturée d’un assemblage musical baroque ingénieusement acharné : ‘J’aime passer du temps à composer de la musique dans mon coin, à construire des séquences, les assembler, pour finalement tout remettre dans le désordre. Ça peut prendre des heures, des journées, des semaines et c’est même difficile d’arriver à se dire que le travail est achevé, surtout lorsqu’on est son propre juge. Je peux être très difficile, exigeant avec moi-même.’ Travail de titan traçant l’ébauche d’un bateau ivre sillonnant prodigieusement tous les grands fleuves artistiques : la musique, le théâtre, le cinéma, la littérature… Un artiste absolument complet qui se délecte également de philosophie et de littérature (diplômé en Philosophie et Lettres de l’Université de Berlin). Une schizophrénie musicale et littéraire qui aiguise ses textes d’une plume excentrique : “I Sold My Hands for Food so Please Feed Me” ou “We Are Safe Inside While They Burn Down Our House”.
Sur scène, le produit de cet éclectisme culturel offre un espace sonore et visuel qui cristallise en pop-songs alambiquées des structures a priori inconciliables. Un véritable tourbillon phonique concerté de guitares électriques lourdes, d’une batterie dominante, d’un violon en premier plan, de claviers, de guitares acoustiques, de cuivres… qui interrogeraient les tympans des mélomanes les plus capricieux. Un joyau de spleen orchestral puisant tant dans les structures classiques ou les cuivres de l’Europe de l’Est que dans l’electronica ou la pop Motown. Un alt-rock hautement émotif aux largeurs inépuisables…
Get Well Soon s’affirme très tôt comme l’un des principaux acteurs d’une certaine pop indé mélancolique aux côtés de groupes cultes comme « Radiohead », « The Divine Comedy »…
D’ores et déjà l’un des meilleurs albums et concerts de cette année 2010.
(Organisation Ancienne Belgique)