Une fois n’est pas coutume ! Alors que les tensions politiques Nord-Sud sont vives, votre serviteur fait irruption chez les Vlamingen. Et par les temps qui courent, les Wallons ne sont pas nécessairement les bienvenus en Flandre.
Direction Gand précisément, une bien jolie ville belge, située en Région flamande, au confluent de la Lys et de l'Escaut.
Jasper Steverlinck se produit au Capitole, un ancien cinéma transformé en eldorado des amateurs de musique, de comédie, de cabaret, de ballet ou encore de stand-up. Bref la culture y est bien implantée !
L’endroit compte environ 1 500 places. La date est sold-out depuis un bon bout de temps. Autant le signaler, les spectateurs francophones se comptent eux aussi sur les doigts d’une main, alors que la vedette qui livre son show jouit d’une renommée internationale.
L’intérieur, de type Art Déco, est drapé de tissus rouges tant au sol qu’en élévation, ce qui lui confère un côté intimiste. Adéquat pour la prestation de ce soir, l’artiste ayant choisi de s’armer d’une gratte semi-acoustique le temps d’une tournée.
Son nom est inévitablement associé à celui d’Arid, qui a pas mal sévi sur les ondes. Un groupe de rock belge incontournable réunissant des figures de proue de la scène rock indépendante comme le guitariste David Du Pré, le bassiste Filip Ros et le drummer Steven Van Havere.
Jasper et son groupe ont été finalistes du ‘Humo's Rock Rally’, en 1996. En 2000, Arid a sorti son premier opus, « Little Things of Venom » et sa suite « All Is Quiet Now », en 2002. Le band s’est également produit au festival ‘Rock Werchter’, à plusieurs reprises…
La formation a suspendu son aventure dès 2012, en partie à cause de ce succès. Il ne se reformera qu’exceptionnellement et notamment à l’occasion du vingtième anniversaire du premier long playing, acclamé par la critique. L’album y sera joué dans son intégralité.
Pas étonnant donc que le peuple se soit déplacé en masse.
Après avoir monté divers projets, dont un consacré à un album de reprises intitulé « Songs of Innocence » et entrepris une carrière de coach dans ‘The voice’, version néerlandophone, Jasper Steverlinck décide alors de se remettre à l’écriture, sous sa forme la plus pure et la plus subtile. Et depuis, il embrasse une carrière solo avec le succès qu’on lui connaît.
Après une brève intro laissant augurer le meilleur, le Gantois sert un « Here’s To Love », d’une justesse imparable, immédiatement suivi de « That’s Not How Dreams Are Made », tous deux issus de « Night Prayer », son précédent (et excellent) disque. Une vision personnelle de la guérison comme l’homme aime à le signaler.
Aucun doute, l’expression sonore fait immédiatement penser aux regrettés Jeff Buckley et Freddie Mercury, l’artiste parvenant à accomplir de grands écarts dans les octaves. Mais, c’est dans les aigus qu’il est le plus à l’aise comme ses deux pairs.
L’utilisation des projecteurs est réduite à sa plus simple expression ; ils mettent en exergue les principaux acteurs, Jasper Steverlinck évidemment, mais aussi son comparse, l’excellent pianiste Valentijn Elsen.
Afin d’agrémenter le spectacle, l’un ou l’autre morceau bénéficie du concours de musiciens additionnels, alternant contrebasse et violoncelles. De quoi rassurer quant à la qualité de la prestation !
Et si le live est prétexte à servir les titres de « The Healing », son nouveau-né, à l’instar de cette ravissante « Annabelle », le chanteur n’est pas en reste en ce qui concerne l’intégralité de sa carrière.
Ainsi, le spectateur a pu se délecter d’un moment de grâce, lorsque plongé dans une quasi- pénombre, blotti dans un recoin de la scène, Jasper s’est mis à nu lors de « Night Prayer », le titre maître de son précédent elpee. Un moment grandiose ; et c’est peu dire !
Une compo ayant pour effet d’immortaliser l’instant. Les accords des instrumentistes sautillent joyeusement comme des gouttes d’eau sur le sol et plongent l’auditoire dans une atmosphère empreinte de douceur.
JS maîtrise assidument sa gratte ; c’est un sacré musico. Ses doigts glissent agilement sur le manche. La complicité qu’il voue avec son équipe fait plaisir à voir. Des sourires s’échangent même entre deux petites blagues que seuls ceux qui maitrisent la langue de Vondel peuvent comprendre.
Un « Cold » du feu de Dieu, dévoile une facette encore inconnue de son répertoire. Sa voix haute percée atteint des sommets. Le public en reste bouche-bée.
Après avoir exploité au mieux les aigus de son organe vocal, c’est avec une réinterprétation de « Life on Mars » que le Sieur rend un hommage vibrant à une grande voix de la sphère musicale, David Bowie. Un titre qui figure par ailleurs sur « Songs Of Innocence », un elpee paru en 2005.
En guise de clin d’œil à ses comparses d’antan, c’est « You Are », en mode fast tempo, qui est proposé, plaçant ainsi le millier de spectateurs dans une forme olympique et dont les applaudissements fusent encore aujourd’hui. Une chanson qui s’ouvre vers de grands espaces de liberté, réanimant de vieux feux sacrés.
Comme s’il avait encore quelque chose à prouver, l’homme de cœur et de talent entame alors un « Nessun dorma », extrait de l'opéra « Turandot » de Puccini. Une interprétation d’une précision époustouflante, rappelant au passage le regretté Luciano Pavarotti qui peut, de là-haut, être fier de notre compatriote.
Et des reprises, il en sera encore question, à l’instar de ce « Somebody To Love » de Queen ou encore de « Domino », un titre de Clouseau, un combo fondé formé en 1984 autour du chanteur Koen Wauters et qui vient de signer sa tournée d’adieu.
Le concert touche doucement à sa fin. Steverlinck se livre alors en toute humilité et se positionne en résilient tout au long de « Rivers », un titre dans lequel il se livre en toute humilité face aux doutes qui l’ont submergé pendant longtemps. Mais, c’est dans la nature qu’il a pu retrouver les ressources nécessaires face aux vicissitudes de la vie. Une compo qui lui sert de pansement, en quelque sorte…
Généreux et altruiste, Jasper, en parfaite forme, est entré en communion totale avec ses musiciens et un public qu’il parvient constamment à choyer.
« Raise my voice » intervient naturellement pour se dire, non pas adieu, mais un aurevoir. Les loopings (séquences musicales destinées à être répétées indéfiniment) s’effacent peu à peu, sa voix retentit encore et encore et le refrain devient entêtant. Au fil du temps, les musiciens quittent la scène eux aussi, ne laissant plus distinguer que des notes qui s’estompent. Steverlinck, dans un dernier élan, salue le public et prend congé. Les boucles s’arrêtent alors définitivement, les lights s’éteignent, le vide s’installe insidieusement et la solitude s’invite alors dans l’auditoire.
Le concert est à présent terminé. L’artiste s’est dévoué corps et âme durant plus de deux heures.
Aucun doute, grâce à ses chansons aigres-douces, le public se souviendra encore longtemps de cette prestation cinq étoiles...